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4e-murQuand  on lit un livre et qu’on tombe sur une phrase qui nous interpelle plus que les autres, c’est comme un trèfle à quatre feuilles au milieu d’un champ, comme un sourire dans une foule pressée, comme une étoile dans un ciel sombre, comme un diamant dans une mine… Je m’arrête là.

Cette phrase porte une idée essentielle pour celui qui la lit, c’est aussi, quand on est auteur, une phrase qu’on aurait aimé avoir écrite. En quelques mots tout est dit.

Je viens de trouver une phrase aussi précieuse au tout début du roman Le quatrième mur de Sorj Chalandon.

Protège l’intelligence, s’il te plaît, a dit Sam.

Ne dis pas de bêtises, Réfléchis un peu, ça aurait eu moins de classe, non ?

 

 

 

Dois-je déclarer Point à la ligne comme un roman ou un recueil de nouvelles ? C’est la question que je me suis posée et que j’ai partagée avec mes proches une fois le manuscrit bouclé.

Un roman ? Oui, car il y a une unité de temps et une relation entre tous les personnages. Non, car les narrateurs sont différents d’une histoire à l’autre.

Un recueil de nouvelles ? Oui, car les 4 histoires peuvent être lues séparément. Non, car la structure de chaque histoire s’apparente plus à celle d’un mini-roman qu’à celle d’une nouvelle.

Alors, roman choral, polyptyque romanesque ? J’ai opté pour le recueil de nouvelles. Grégoire Delacourt (ou son éditeur ?) a choisi le roman pour Les quatre saisons de l’été, alors que la construction de la narration est semblable à la mienne.

Cette question peut paraître anodine car, franchement, le genre ne change rien à la lecture. Pourtant, un roman et un recueil de nouvelles ne sont ni édités par les mêmes maisons, ni référencés de la même façon par les librairies, ni même abordés pareillement par les lecteurs. Alors bon ou mauvais choix ?

 

gingembreAlléger ou libérer son style, rendre plus percutants ses textes, trouver sa voix… l’obsession des apprentis écrivains. « Lisez L’homme de gingembre de J.P. Donleavy, m’a conseillé très récemment Jérôme, un éditeur.  Il a été révélateur pour moi. »

Quelle surprise ! Une claque plutôt.  J’ignore tout de cet écrivain (1926-17) et si ses livres postérieurs sont écrits dans le même style, mais quel style !  J’imagine qu’il a été étudié et re-étudié par des générations d’étudiants en littérature. Un mélange d’art brut et d’impressionnisme si je pouvais oser un parallèle avec la peinture.

Extrait : Assise-là, face à moi, allumant des cigarettes. D’habitude, n’aime pas qu’on fume. M’aperçois qu’en ce moment tout me paraît bien. Au bout du tunnel, soudain, la lumière. Très chrétien. Lumière qui indique la voie. A cette pensée, il m’est arrivé d’entrer dans l’église de Clarendon Street, pour prier et parfois voir s’il y faisait plus chaud, et, après un moment d’immobilité, pour me détendre un peu. Je subis d’horribles tensions ; dans cette nostalgie catholique et irlandaise, j’étais pris d’une légère mélancolie et d’apitoiement, à considérer l’après et l’avant. J’y puisais souvent la conviction que j’allais vraiment gagner un peu de fric. Sais pas pourquoi le fric débarrasse de la mélancolie. mais c’est un fait. Ah ! Christine. Comment es-tu là-dessous ?

D’une phrase à l’autre le narrateur change, la pensée oscille, la lecture est compliquée, et le lecteur comme maintenu en apesanteur dans ce bric-à-brac littéraire. Et c’est parfait ainsi car en traitant un sujet aussi plombant, aussi glauque que la vie de débauche du héros et de son ami, l’auteur entraîne son lecteur sur un chemin tourmenté et obscène qui serait certainement plus insoutenable sans ces accents poétiques.

 

 

l'oiseau

Mon cher Philippe,

Je viens de terminer la lecture de L’oiseau de nuit et je te remercie des belles heures passées aux côtés de cet oiseau-là.

Dans la veine des héros de ton œuvre (avec trois romans, il me semble juste de parler d’une œuvre), Pierre Beaulieu (un nom qui me renvoie à Belle Vue, la maison de l’Inconnue sur le Banc, ton premier roman, et j’imagine que ce n’est pas un hasard) est horripilant dans son besoin de domination virile, de sexe, de mépris des autres, et surtout des femmes, même si ses failles et son amitié avec le vieil André le rendent parfois touchant.loiseau1.jpg

Anesthésié par l’alcool, drogué par la luxure, la débauche, ce Don Juan contemporain n’est guère fréquentable et ce n’est pas son introspection tardive et quelque peu machiste qui le rend sympathique à mes yeux.

Pourtant, il émeut, cet anti-héros, sans aucun doute, – et c’est là l’essentiel pour un lecteur – car ton écriture, qui s’est affûtée au fil des romans, lui a donné une consistance, une étoffe qui le rend tellement crédible, terriblement humain.

Alors oui, L’oiseau de nuit est un bon livre, ton meilleur je pense, le plus abouti, et j’ai pris un réel  plaisir à le lire (et tu connais ma méfiance envers la complaisance). Merci encore.

Il serait dommage que tu en restes là, non ?, que nous en restions-là, nous lecteurs, alors à quand ton 4e opus?

Amitiés,

Fabienne

BALLONS.JPGIl y a quelques jours une envie irrépressible de gribouiller une toile m’a attrapée par surprise.

De la légèreté, de la liberté avec des ballons, mais bien ancrés dans le sol, pour moi la terrienne. Du jaune enfin pour tenter de prolonger un été qui s’en est allé. Ou parce que cette couleur est à la mode, qui sait ? Voilà comment est né ce tableau : Ballons.

En le découvrant, ma fille s’est exclamée : « Il me fait penser à des tournesols. ». Des tournesols ? Mais bien sûr ! Et comment ne pas y voir plus qu’une coïncidence, alors que je me régale en ce moment de la lecture du roman Vincent qu’on assassine de Marianne Jaeglé, une superbe fiction, joliment écrite et fort bien documentée, sur les derniers mois de la vie de Van Gogh. Le soleil arlésien, la maison jaune, le fauteuil de bois rouge, Gauguin, les blés ondulants… et les tournesolsSIGNATURE.

Autre clin d’oeil, je signe depuis toujours mes toiles d’un nom, un seul : Vincent !

danslacombi…Thomas Pesquet ! Je ne me suis confiée encore qu’à demi-mot sur ce blog à son sujet, cet homme me fascine. Comme bien des Français, j’ai suivi avec assiduité ses prouesses spatiales, de sa sortie de la station à des actions plus anodines comme des séances de lecture ( L’astronaute et les histoires ) et la diffusion sur les réseaux sociaux des photos de la terre.

Il me fascine par ce mélange étonnant de proximité et d’inatteignable. Presque comme si Dieu était mon voisin. Un jour dans ma rue, quelques heures plus tard dans les étoiles.

Il m’impressionne plus que tout par sa force mentale revêtue d’un masque lisse. Sous ses traits humains, cet homme est un alien.

Je viens de me régaler de la BD « Dans la combi de Thomas Pesquet ». Dans ce récit traité avec un second degré hilarant, derrière les anecdotes amusantes, on devine une passion hors norme ainsi qu’une volonté et une abnégation non moindres pour parvenir à l’assouvir.

On se représente les passions, fébriles, dévastatrices, bruyantes… La sienne semble froide, réfléchie. Encore un paradoxe qui n’est peut-être qu’une image, un mirage, de plus. Peu importe, cet homme a conquis les étoiles, rien de moins !

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L’inconnue sur le banc est le premier roman de Philippe Leclercq, publié tout comme mon recueil de nouvelles aux éditions Abordables. Début août, j’ai lu son deuxième ouvrage, La cabane, qui m’a donné envie de découvrir le premier.  Alors, au retour de nos vacances respectives, nous nous sommes donnés rendez-vous dans un troquet et avons échangé nos livres (et avons aussi discuté de plein de choses évidemment).

Dans L’inconnue sur le banc, Philippe nous entraîne dans le labyrinthe psychique d’Eric, un quinquagénaire reclus en Bretagne après le décès brutal de sa femme. Renonçant volontairement à quelconque subtilité ou délicatesse dans certains passages de ce récit bien mené et indéniablement viril, il nous livre les fantasmes érotiques, les pulsions sexuelles, les tourments amoureux de ce héros égaré entre alcool et libido. L’intrigue se passe dans la Bretagne qu’il connait si bien et dont il se plaît à décrire les somptueux paysages. Ce qu’on aimerait se réfugier, comme Eric dans Belle Vue, sa maison si bien nommée !

linconnue2Dans ce premier roman qu’il qualifie lui-même d’« irrévérencieux », Philippe aborde des thèmes que l’on retrouve dans La cabane, son deuxième opusla quête de l’amour éternel, la jouissance virile, la frontière entre réalité et fantasme.

Qu’en sera-t-il de L’oiseau de nuit, son troisième roman attendu pour le 1er octobre prochain ?

Pom, pom, pom, pom…

le dimanche des mères

Autres magnifique lecture de l’été, ce roman de Graham Swift offert par mon amie Nicole.

Le dimanche des mères est ce jour octroyé aux domestiques une fois par an pour aller voir leurs mères. Jane est orpheline. Comment va-t-elle occuper sa journée ? En retrouvant Paul, son amant de longue date, un jeune homme de bonne famille qui doit se marier sous peu. Et cette journée va changer sa vie.

L’auteur nous sert un récit sensuel, tout en retenu, délicat et pourtant intense dans cette Angleterre qui se remet difficilement de la Première guerre, à l’atmosphère empesée.

Ce roman féministe est aussi une ode à l’écriture et à la lecture, des thèmes qui me touchent particulièrement.

vache.JPGQuelques mots sur ce roman vachement bien de David Safier que j’ai découvert par hasard, là encore sur les étagères de l’entrepôt Emmaüs de Cahors : il est drôle et il s’agit d’une fable moderne, même si la morale n’est pas clairement énoncée en fin de récit, dont les personnages principaux sont des bovins, un chat et un chien.

Cette histoire rocambolesque pointe du doigt, avec malice, certains travers et paradoxes de notre société. La narratrice et héroïne est Lolle, une jeune vache qui, pour échapper à l’abattoir, entraîne un petit troupeau se réfugier en Inde, les vaches y étant sacrées, avec l’aide de Giacomo, un chat voyageur.

Troublant est le fait que j’ai lu ce roman lors d’un séjour en Corse où il est fréquent de rencontrer quelques vaches au bord des routes qui avancent prudemment sans que l’on sache vers quoi elles se dirigent. L’inde peut-être…

et-si-cetait-vraiCe roman de Marc Levy, à la frontière entre réalité et surnaturel, nous invite à respecter la vie, à en connaître le prix mais aussi à dédramatiser la mort. Les deux héros en sont terriblement attachants.

Deux passages d’une belle force :

1 – le héros se souvenant de sa mère :

Il avait voulu savoir si les grandes personnes en avaient peur (de la mort) (…), elle avait dit : « Lorsque tu as passé une bonne journée, que tu t’es levé tôt le matin pour m’accompagner à la pêche, que tu as couru, travaillé aux rosiers avec Antoine, tu es épuisé le soir, et finalement, toi qui détestes aller te coucher, tu es heureux de plonger dans tes draps pour trouver le sommeil. Ces soirs-là tu n’as pas peur de t’endormir.

La vie est un peu comme une de ces journées. Lorsqu’elle a commencé tôt on éprouve une certaine tranquillité à se dire qu’un jour on se reposera. Peut-être parce que avec le temps nos corps nous imposent les choses avec moins de facilité. Tout devient plus difficile et fatigant, alors l’idée de s’endormir pour toujours ne fait plus peur comme avant. »

2 – l’héroïne s’adressant au héros

A son tour, elle se décida à lui raconter une histoire (…). Elle lui demanda d’imaginer qu’il avait gagné un concours dont le prix serait le suivant. Chaque matin une banque lui ouvrirait un compte créditeur de 86 400 dollars. Mais tout jeu ayant ses règles celui-ci en aurait deux :

– La première règle est que tout ce que tu n’as pas dépensé dans la journée t’est enlevé le soir (…), mais chaque matin au réveil, la banque te rouvre un nouveau compte, avec de nouveau 86 400 dollars, pour la journée.

– Deuxième règle : la banque peut interrompre ce petit jeu sans préavis ; à n’importe quel moment elle peut te dire qu’elle ferme le compte et qu’il n’y en aura pas d’autre. Qu’est-ce tu ferais ?

(…) Il répondit spontanément qu’il dépenserait chaque dollar à se faire plaisir, et à offrir quantité de cadeaux aux gens qu’il aimait. Il ferait en sorte d’utiliser chaque quarter offert par cette « banque magique » pour apporter du bonheur dans sa vie  et dans celle de ceux qui l’entouraient, « même auprès de ceux que je ne connais pas d’ailleurs, parce que je ne crois pas que je pourrais dépenser pour moi et mes proches 86 400 dollars par jour, mais où veux-tu en venir ? » Elle répondit : « Cette banque magique nous l’avons tous, c’est le temps ! La corne d’abondance des secondes qui s’égrènent ! »

Chaque seconde, au réveil, nous sommes crédités de 86 400 secondes de vie pour la journée, et lorsque nous nous endormons le soir il n’y a pas de report à nouveau, ce qui n’a pas été vécu dans la journée est perdu, hier vient de passer. Chaque matin cette magie recommence, nous sommes recrédités de 86 400 secondes de vie, et nous jouons avec cette règle incontournable : la banque peut fermer notre compte à n’importe quel moment, sans préavis : à tout moment la vie peut s’arrêter. Alors qu’en faisons-nous de nos 86400 secondes quotidiennes ? « Cela n’est-il pas plus important que des dollars, des secondes de vie ? »

Une lecture qui laisse longtemps après sa fin un bon goût à l’esprit.