Archives de catégorie : Humeur

Les bruits des souvenirs

Je suis allongée dans mon lit de jeune femme. Les yeux fermés. Tant de choses passent par ma tête. Je connais chaque bosse du matelas, chaque couture de l’édredon. Je n’ai qu’à lever la main, avec un angle dont j’ignore les degrés mais qui s’ajuste précisément, pour atteindre l’interrupteur.

J’entends le coq qui lance sa triple note chevrotante comme s’il s’étouffait. Et qui recommence pourtant trois fois de suite. Je sais que le jour commence tout juste à poindre même si derrière mes paupières closes, derrière les volets fermés, il serait bien difficile de le deviner.

Un long chuintement au loin qui signale le passage du train par vent d’est, quelques grondements de moteurs dans la rue devant, le claquement sec du placard dans la chambre de mes parents derrière la cloison, le craquement de la charpente, les ronflements de ma mère, le gargouillis du chauffe-eau dans la salle de bain, des pas étouffés sur le parquet…

J’ouvre les yeux. Le soleil filtre à travers les lattes du volet. Mes souvenirs me mordent les sens. Les autres lits sont vides. Personne d’autre que moi ne va se lever. Il n’y a plus que des fantômes dans cette maison.

Après mon père, ma mère. Mes parents sont partis pour toujours.

Humeur d’automne

L’automne donne le cafard. Entrée dans l’hiver, changement d’heure, premiers rhumes, soirées sombres, humidité, feuilles mortes, on se sentait mieux quelques semaines plus tôt (et ce n’est pas l’élection de Trump qui nous réconforte). Pourtant, l’automne a de bons côtés. Retour des soupes, des pulls en laine douce, des champignons, des châtaignes à griller dans la cheminée, et des feux de cheminée (même sans châtaignes) qui crépitent (je n’ai pas de cheminée, dommage !), des soirées sous le plaid, du pot-au-feu et autres plats roboratifs, des courges et des clémentines (miam !), des promenades dans le bruissement des pas sur les feuilles mortes. Et grain de raisin sur la tarte aux pommes, il n’y a qu’à lever les yeux pour les emplir de couleurs chatoyantes. L’automne, ce n’est pas si mal finalement.

Image par Gerd Altmann de Pixabay

En mai reste abrité

Un temps pourri, de la pluie, de la pluie, encore de la pluie, ce début de mois de mai n’en a pas été un. Même les nappes phréatiques, qui pendaient la langue l’été dernier, demandent grâce. Les premiers jours d’avril, en revanche, coup de chaud, il fallut se découvrir et pas que d’un fil.

Le dérèglement climatique met à mal bien des choses, catastrophiques comme la fonte des glaciers ou bien anodines tels les dictons anciens.  Du dérisoire seul nous pouvons nous amuser, alors je me lance pour une révision 2024 du bien connu En avril ne te découvre pas d’un fil, en mai fais ce qu’il te plait :

Début avril, tongs et short tu enfiles avant que mai ne vienne te remettre le ciré.

Et maintenant que le soleil est revenu, pas pour longtemps mais au mieux de sa forme : Courant mai, chapeau  et verres teintés tu peux tenter.

Des suggestions de votre côté ?

Image Pixabay

 

le ciel est bleu

Le ciel est bleu, regarde ! a répondu Pauline à mon Bonjour ! Comment vas-tu ?
Pauline est une collègue, la cinquantaine bien entamée, malmenée entre ses enfants pas encore autonomes, son père, veuf et dépendant, et son boulot qui ne la ménage guère.
Depuis quelques mois, elle travaille à temps partiel, turbine pour réaliser ses missions professionnelles sur 4 jours au lieu de 5, et consacre tous ses vendredis à son père qui vit à 90 kms de chez elle.
Elle n’a pas souvent le moral quand elle revient au bureau le lundi. Mais c’est du beau temps dont elle parle, Pauline,  qui préfère se saisir de tous les bonheurs passant à portée.
Image : Pixabay

Les soeurs Poubelle

Ce matin, en petit-déjeunant dans ma cuisine, j’observe la sororie Poubelle. Elles ont chacune leur caractère.

La plus constante est Verre, une vraie force tranquille qui ne paie pas de mine.

La petite dernière Déchets Organiques est déjà goulue. Comme dans bien des famille il a fallu pousser les murs pour l’accueillir mais elle a rapidement trouvé sa place. Je dois l’avouer, elle est ma préférée.

Déchets Ménagers, qui la laisse allègrement lui piquer sa pitance a considérablement minci. Elle flotte dans son manteau qu’il va falloir retailler sans tarder. Elle est ainsi Déchets Ménagers, toujours prête à se serrer la ceinture. Il y a trois ans déjà, elle a décidé de se mettre au régime sec et de laisser cette folle de Recyclable s’en mettre plein la panse.

Elle m’inquiète celle-là. Je perçois sa souffrance et ses efforts à tenter de cacher sa boulimie derrière un sourire enjôleur. Je ne sais pas encore où elle va vomir en cachette mais, franchement, il va falloir s’attaquer au problème. Ca ne peut pas durer !

Mon petit déjeuner est terminé, à ce soir les Poubelle !

Image : Pixabay

 

Les trous de conjugaison

L’une de mes pépites de ces derniers jours, ce roman d’Ingrid Naour ! Je ne saurais dire ce qui me réjouit le plus, d’avoir lu ce texte débordant de vie et d’humour ou d’avoir déniché cet ouvrage dans le rayonnage d’une bibliothèque d’hôtel. Les deux assemblés certainement comme un gâteau et sa cerise.

Quelle belle idée que cette bibliothèque bien fournie dans un hôtel paumé dans la campagne ! C’est le format du roman, je crois, qui m’a attirée. Une centaine de pages pour un court séjour, c’était jouable. Le titre aussi. Les trous de conjugaison, késako ? L’auteure que je ne connaissais pas, la collection qui n’était pas celle d’un roman de gare. Et la 4e de couverture évidemment que je vous livre en photo parce que je ne saurais faire mieux pour vous décrire ce texte à dévorer comme une bouchée au chocolat.

Au fait, il semble que les trous de conjugaison, ce sont des orifices situés de part et d’autre de la colonne vertébrale. Et quand les nerfs rachidiens qui y passent s’y coincent, ça fait très mal ! Voilà pour le sens propre. Quant au sens figuré que je suppose voulu par l’auteure, disons que notre héroïne, gourmandes des mots, les envoie pas mal virevolter ! Et c’est tordant.

 

Wabi-sabi

Je me suis lancée, enfin !

J’ai participé à un atelier de kintsugi, depuis un moment cela me titillait, je vous en avais parlé. J’ai lu pas mal de romans (dont La patience des traces) et d’articles sur cet art japonais ancestral de la réparation de céramiques, qui consiste à souligner les défauts, à les sublimer, au lieu de les cacher. Un art qui demande du temps, de la patience où il est question de wabi-sabi et dont je voulais mieux appréhender la philosophie.

A l’hôpital des céramiques

Deux heures au chevet de mon pot cassé, à le recoudre, le panser, le perfuser avec de l’urushi, cette sève naturelle au coeur de la technique. L’observer et apprendre à connaitre son grain, sa blessure pour la magnifier sous la poudre d’or.

En soignant ma céramique, je pensai à mes propres cicatrices, à ces dessins que, devant le miroir de ma chambre, j’avais parfois tracés par-dessus, au stylo bille, avant de m’habiller. Une longue tige sur la balafre abdominale se ramifiant en autant de roses que de marques laissées par le passage de drains. Et un papillon sous l’omoplate droite, sur la couture qui enferme encore la chambre d’injection. Mes cicatrices ont blanchi, à n’être désormais qu’à peine visibles. Plus jeune, plus marquée, j’aurais, je pense, envisagé de prêter mon corps à un kintsugi de tatouages. Les analogies que je découvrais dans ces deux techniques me troublaient, mais la suite ne fit que m’ébranler encore un peu plus.

Quand l’incident surgit

Je quittai l’atelier ma céramique ornée d’or insuffisamment sèche, calée dans un sac à fond plat. Bousculade sur le quai du métro, sac serré contre moi dans une rame bondée. Je sentais vaciller la santé du pot. Quand je le déballai enfin sur la table de ma cuisine, je ne pus que constater ses nouveaux stigmates. Des filets d’urushi dorés dégorgeant de rouge, comme autant de sutures exhalant un pus sanguinolant. Il n’y avait rien d’autre à espérer que d’attendre la fin complète du séchage et imaginer comment composer un nouveau dessin en intégrant ses nouvelles imperfections. Dans un tatouage, dans un kintsugi, comme dans l’existence, aucun retour possible en arrière.

Que la patine triomphe

Quelques années plus tôt, j’aurais pesté contre cet accident, englobant dans mon courroux l’animatrice de l’atelier, les usagers du métro, la RATP et ma petite personne qui n’avait su gérer ce transport. Et certainement, bougonne, aurais-je remisé dans un coin sombre le pot mal foutu.

Je déposai ma céramique blessée sur une étagère de mon salon, bien en vue. Posai à ses côtés un chevalet de papier. Ne pas toucher, en séchage long, le temps de la résilience. Plusieurs fois je passais devant, je la regardais, me demandant si j’allais la retoucher ou bien laisser à nu les marques de son histoire. Mais l’évidence ne tarda pas à s’imposer, c’est ainsi que je l’aimais avec son rouge bavant sous son or, avec la patine et les cicatrices de son parcours de vie, avec sa beauté dans l’imperfection que les  japonais nomment le Wabi-Sabi.

Il n’était plus question de retouche.