Tous les articles par Fabienne Vincent-Galtié - Auteure

couloir métro

Labyrinthe

Le métro comme bien des matins. Toujours le même itinéraire. Changement de ligne à Nation. Je descends de la rame, me dirige tout droit vers le couloir de jonction. Mais un cordon rouge, marqué « Passage Interdit » me barre la route. L’automate que je suis dans ces circonstances ne le voit qu’au dernier moment, trop occupé à foncer tête baissée dans la gueule de la foule.

Situation inhabituelle. Moment d’égarement. Mais qu’est-ce qui se passe ? Un instant j’envisage de passer sous le cordon, de forcer le passage. Je me reprends, mais où est donc l’échappatoire ? Je suis un jeune homme au pas assuré qui s’engouffre dans le couloir voisin, en contre sens. En haut de l’escalier, je l’ai perdu de vue. Intersection à choix multiple. Aucun fléchage. Comme dans un labyrinthe, où sortir rapidement est la priorité, j’opte pour la voie qui me semble la plus probable sans prendre le temps de regarder autour de moi. Qu’est-ce qui a poussé la Ratp à fermer ce couloir ? Une voie d’eau ? Un effondrement de la voute ? Hum… j’en doute. L’absence de fléchage de remplacement signifie certainement une fermeture très temporaire.

Toute à mes pensées et à ma course folle, je me suis égarée. Ma ligne n’est indiquée nulle part. J’attends la prochaine intersection pour m’autoriser un tour sur moi-même. Parcours du regard chaque entrée de couloir avec l’intensité d’un scanner.

Mon numéro de ligne, inscrit sur le mur. Soleil sorti des nuages. J’ai retrouvé la piste. Je rebrousse chemin, je suis passée devant le bon accès, un court instant avant, sans le voir. M’y voilà. La question me taraude, pourquoi le passage est-il fermé ? Un malaise ? Un agent Ratp serait présent sur place.

Un décès ? Celui de la SDF qui dort souvent dans ce couloir ? A demi cachée sous un monceau de couvertures répugnantes. Ses pieds nus crasseux dépassant d’un côté, des mèches de cheveux gris collés de l’autre. Et cette puanteur !

Avant même de la voir, je sens littéralement sa présence. Je bloque ma respiration, passe en apnée devant sa couche et ne reprends de l’air qu’après l’avoir largement dépassée. Je croise des visages front plissé, nez pincé. Personne ne peut ignorer cette pestilence. Certains s’en accommodent comme moi, difficilement, détournent leur regard en longeant la malheureuse ou au contraire l’observent. D’autres rebroussent chemin.

Elle est là, couchée, les matins d’hiver, très souvent. Une fois, une seule, je l’ai vue assise au milieu de ses guenilles. Son visage aux traits fins et réguliers était maculé de traces sombres et ses cheveux gris et épais aussi emmêlés qu’une ronce sauvage. Elle semblait hagarde. Ou seulement se réveillait-elle. Elle avait dû être belle. Et certainement le serait-elle encore sans cette odeur et ses oripeaux qui la protègent des prédateurs. Des prédateurs comme des personnes attentionnées.

Où se trouve-t-elle aujourd’hui, dans un autre couloir ou morte dans l’indifférence ?

Les jours passeront sans que je connaisse son sort. Sans que je connaisse la raison de la fermeture temporaire de ce couloir du métro. Des questions sans réponse, il y en a plein le monde. Des hommes et des femmes qui s’effacent, aussi.

Je monte dans la rame de métro pour la seconde partie de mon trajet. Comme bien des matins.

Photo : Wikimedia Commons

Plaisanteries des dieux

« Le destin est vieux comme le monde. Il a bien vu des choses, probablement toutes, ce qui explique sans doute son besoin irrépressible de brouiller les cartes dans l’espoir qu’adviennent des évènements imprévus. Des péripéties dont il s’amuse, et que certains qualifient de plaisanteries des dieux. Brouiller les cartes, brouiller les vies, se distraire en faisant des noeuds, en installant un virage à tel endroit, en cassant un pont à tel autre, en ballotant nos coeurs, en assénant à l’existence des pitchenettes de manière à bouleverser ce qui est immobile et solidement enraciné. »

Une définition ô combien poétique de la vie, surprenante et pourtant si juste, extraite de Ton absence n’est que ténèbres de Jon Kalman Stefansson.

Un merveilleux roman ; à chaque ligne, l’auteur parvient à procurer au lecteur une émotion, une révélation,  l’entraîner dans des sentiments puissants, des tourmentes psychologiques. Je n’en ai pas encore terminé la lecture et j’aurai plaisir à vous en reparler très prochainement.

Les gens sont beaux

Ce matin dans le métro une grande affiche « le livre jeunesse n°1 des ventes » m’a rappelé que je voulais vous parler de Les gens sont beaux, même si vraisemblablement il n’y a plus besoin d’en faire la promo !

Je l’ai acheté il y a quelques jours. J’avais ce projet depuis un moment mais c’était un peu sorti de ma tête. Une visite à ma librairie jeunesse pour des cadeaux à acheter, l’album est entré aussi sec dans mon champ de vision, je n’ai eu qu’à le saisir, c’était un signe !

C’est un post de Virginie Grimaldi sur Insta qui m’a fait connaître cet ouvrage, elle est copine avec Baptiste Beaulieu. Ils se sont connus, je crois, chez Mazarine. C’est d’ailleurs lors d’un Mazarine Book Day  que j’ai eu le privilège de rencontrer Baptiste, médecin écrivain ou écrivain médecin. Certainement ne se pose t’il pas la question…humaniste et sympathique, c’est sûr et certain.
Et cette histoire est à son image. Les gens sont beaux avec leurs corps marqués qui racontent leur histoire. Cet album cartonne en librairie, il n’y a rien d’étonnant, c’est une ode à la tolérance, à l’ouverture d’esprit à mettre entre des tas de mains !

Je sais déjà à quels adorables enfants je vais l’offrir. 

Karitas, L’art de la vie

Je vous ai parlé il y a peu de Karitas, ce roman en deux tomes de Kristin Marja Baldursdottir. Parce que je viens de terminer la lecture du second opus, j’ai envie de vous redire combien j’ai aimé me laisser embarquer dans cette aventure, entre l’Islande, Paris, Rome et New-York. Karitas est une femme libre ô combien, habitée par la nécessité de peindre. Cette impériosité intime la conduit à négliger sa famille, à renoncer au confort matériel, aux conventions, aux convenances. Souvent elle tangue dans ses choix, mais son fil conducteur, l’art, ne la lâche pas.  Une épopée sur plusieurs décennies, merveilleusement contée et un bel hymne à la liberté.

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Extraits 

Lorsqu’il vint nous chercher Silfa et moi, je n’avais pas dormi et étais peu bavarde. J’étais restée debout toute la nuit devant mon chevalet, à écouter la pluie mais avais été incapable de peindre. Un homme était entré dans ma vie, avait soulevé la poussière dans mon esprit, je ne savais plus que faire, étais-je tombée amoureuse, ou bien était-ce le sentiment confus de l’agneau orphelin élevé dans la ferme qui bêle après abri et sécurité ? Je ne pouvais penser à rien d’autre qu’à son regard et à ses mains chaudes lorsqu’il m’avait dit au revoir , cela me procurait une délicieuse satisfaction de me remémorer l’instant encore et encore, et à chaque fois je fabulais avec, nous voyais déambuler ensemble le long de la Seine comme des amoureux, nous asseoir sur un banc dans un jardin et nous embrasser, danser étroitement enlacés dans un restaurant peu éclairé, je venais d’entrer dans un hôtel avec lui lorsque la main du passé agrippa mon épaule et me retourna. – Page 162 éditions Points.

Je tablai sur le fait que sa mauvaise humeur était due à la faim, Bjarghildur n’avait jamais été portée aux grands discours le ventre vide, lui demandai si nous ne devions pas descendre tranquillement la rue d’à côté et nous prendre un déjeuner dans un bon petit restaurant. Elle ne prit pas mal la chose, il fallait par ailleurs tirer Silfa hors de la maison. Celle-ci ne prêta aucune attention à ma soeur et prit un air boudeur. Bjarghildur fit comme si l’enfant ne la concernait pas mais ne dit pas grand-chose en chemin, j’avais l’impression qu’elle était en train d’accumuler des informations dans son jabot comme la perdrix des neiges des graines de bruyère, de concocter une prédication qui serait déclamée à la foule plus tard, elle était silencieuse lorsque nous entrâmes dans la joyeuse salle de restaurant de Pierre. – Page 261 éditions Points.

 

La voleuse

Vous rendez-vous souvent au marché de votre quartier ? Pour Alice c’est une première dans sa nouvelle vie plus verte. Une micro-nouvelle à découvrir.

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La voleuse

Alice attrape son cabas. Je vais au marché mon chéri !

Elle vient juste d’emménager avec son fils en bordure du bois de Boulogne. Les confinements successifs leur ont donné envie d’un brin de verdure quitte à s’éloigner un peu de son cabinet. Le centre de Paris, c’est super, mais pas quand il faut vivre des journées entières dans soixante mètres carrés à deux sans espace extérieur autre que des rebords de fenêtres donnant sur une avenue.

Nid d’aigle

Désormais ils habitent un dernier étage, quatre-vingts mètres carrés ouverts sur une terrasse, avec des arbres et des nuages pour seul vis-à-vis, et surtout la perspective de s’échapper en quelques pas pour une balade en forêt. Comme un avant-goût de campagne à portée de station de métro. Un coup de coeur.

Les dernières affaires plaidées par Alice ont fait monter en flèche sa notoriété en tant qu’avocat pénaliste et lui ont rapporté gros. Assez pour lui permettre d’accéder à leur désir à son fils et elle. Dès la première visite, elle s’est sentie parfaitement à l’aise dans ce nid d’aigle, comme s’il avait été d’emblée conçu pour eux. Il leur reste à s’approprier l’environnement extérieur et, pour commencer, puisqu’il faut bien commencer par quelque chose, elle a opté pour une visite au marché du samedi matin qui se tient à quelques centaines de mètres de chez elle. Jusque-là il n’y avait guère qu’en vacances estivales qu’elle s’adonnait à ce type d’occupation. Autre privilège de ce lieu de rêve.

Le marché

Alice longe les étals de fruits et légumes sans se décider pour un seul, achète un morceau de tome de Savoie parce que le vendeur lui rappelle un de ses clients, puis avise un stand où plusieurs femmes plongent les mains dans un monceau de vêtements entassés sur une table. Elle les regarde procéder, lever l’article à hauteur d’yeux, vérifier les étiquettes, tendre le vêtement devant elles pour en estimer la taille. Une jeune fille rousse, élégamment vêtue, semble indécise devant un pull gris en mohair.

Le pull

La vue de ce joli pull décide Alice. Si la rousse ne l’achète pas, il sera pour elle. C’est de la seconde main ou des excédents de stock ? demande-t-elle à sa voisine en se glissant autour de la table. Les deux, de la fripe quoi ! répond cette dernière sans quitter des yeux un chemisier en guipure blanche. Quand c’est neuf, il y a encore l’étiquette en carton.

La jeune fille relâche finalement le pull gris à la satisfaction d’Alice qui s’empare hâtivement du lainage.

L’étiquette en carton se balance au bout de sa ficelle de chanvre. Taille 38. Composition laine et mohair. Une marque haut de gamme. « 10 € » écrit à la main sur un bout de papier épinglé dans l’encolure. Un prix dérisoire pour ce type d’article. Alice est heureuse d’avoir senti la bonne affaire et de tenir en main son trésor du jour. Il lui ira bien ce pull. Décidément cet endroit est magique.

La veste

Le pull sous le bras, Alice avise une broche sur le revers d’une veste en pied-de-poule. Une petite broche ancienne à n’en pas douter, garnie de trois pierres de verre translucide. Sans grande valeur mais jolie. Alice se saisit de la veste, la tourne et la retourne. Aucune étiquette. Un article de seconde main.

Alice ne voit plus qu’elle. La broche. Elle la veut pour fermer son chemisier en soie noire qui baille au niveau des seins. Elle observe la veste sous toutes ses coutures. Une mocheté. Et beaucoup trop grande pour elle. Elle ne va quand même pas acheter cette horreur ! D’autant que ce bijou si joli n’a rien à faire à cet endroit, ça parait évident. L’ancienne propriétaire l’a certainement oublié sur le vêtement. C’est la veste que cherche à vendre le commerçant, pas la broche qu’il n’a certainement même pas remarquée.

Sans arrêter de jouer avec la veste, Alice jette un coup d’œil en biais vers ses compagnes de fripe, toutes accaparées par leurs recherches. Elle défait soigneusement les boutons de la veste l’un après l’autre, la triture, la jauge, ôte la broche dans un mouvement qui se veut naturel et la fourre dans sa poche ni vu ni connu. Place la veste devant elle, fait la moue et la prend sous son bras.

Le chapardage

Pendant quelques minutes, elle se déplace autour de la table, pioche quelques articles, les repose. Avise le panneau : « Articles non marqués : 5 € pièce ». Puis rejette la veste en pied-de-poule d’un mouvement ostentatoire et, le pull à la main, amorce un pas vers la commerçante occupée à rendre la monnaie à une cliente.

— Madame, vous avez remis la broche sur la veste que vous venez de reposer ?

Alice se tourne vers celle qui l’apostrophe. Une grande blonde qui la regarde sévèrement.

— Heu, elle était cassée, je l’ai enlevée.

— Non madame, vous l’avez dans votre poche. Je vous avais à l’œil.

Alice se sent mal. Les accusations de la grande blonde la tétanisent, l’attention silencieuses des autres femmes la glace. D’un geste brusque, elle repose le pull gris sur le tas. J’en ai assez de vous entendre ! Et elle tourne les talons, son cabas sous le bras, avec une démarche aussi rapide et naturelle que possible.

Maria

Une voix derrière elle, celle de la grande blonde. Tu vois, Maria, quand je te dis qu’il y a des voleuses ! Elle t’a piqué une broche la BCBG qui détale.

A une distance qu’elle juge respectable, Alice s’arrête devant un étal de légumes où quelques chalands attendent leur tour, elle ne veut pas être vue s’enfuyant. Elle fixe le tas de carottes pour reprendre pied. La fièvre empourpre son visage et son coeur court un sprint.

Madame ! Alice reste concentrée sur les carottes. Madame ! insiste la voix qui se rapproche. Alice se tourne vers Maria, sort de la file d’attente. Elle s’est refait un visage. Oui, répond-elle calmement.

— Vous m’avez pris quelque chose sur le stand ?

— Non.

— Une cliente dit que…

— Oui je sais, mais non. Regardez.

Elle retourne ses poches. Ouvre son sac.

Maria n’insiste pas. Se justifie même. C’est mon stand, vous comprenez. Et repart comme elle l’a poursuivie, à petits pas rapides.

Alice a la tête qui tourne, le corps en feu. Prête à s’effondrer sous le coup du malaise qui prend possession de chacune de ses cellules. La honte et le remord sont un violent poison.

Remords

Qu’est-ce que je vous sers, madame ?

Se détournant des carottes, elle achète des tomates. Une aberration en plein hiver mais qui n’a plus d’importance dans l’égarement qui est le sien à ce moment-là. Et quitte le marché derechef.

La sensation de malaise perdure. L’accable. Son corps s’est alourdi de honte comme si une lourde cape s’était abattu sur lui. Si au moins elle la cachait au monde cette cape de honte. Mais non. Le marché grouille avec elle au milieu, tatouée au front par son délit. Elle se fraye un chemin en évitant les regards. Mais qu’est-ce qui lui a pris de voler un bijou de pacotille ? Comme si elle ne pouvait pas acheter la veste ! Même hideuse, et la déposer dans un bac de recyclage. Pour 5 euros, quelle idiote ! Elle aurait pu tout simplement demander à acheter la broche. Elle aurait dû braver la grande blonde et fièrement reprendre la veste pour aller la payer la tête haute. Plaider sa cause comme elle sait si bien le faire pour les autres. Qu’est-ce qui lui a pris de croire que personne ne la regardait ? De prendre ces risques ?

Qu’est-ce qui lui a pris, tout simplement ?

Le retour

La broche au fond de son cabas pèse comme une pierre. En s’enfuyant du stand de fripe, elle l’a vite retirée de sa poche, a refréné un geste large et trop voyant qui l’aurait envoyé rouler sous un étal ou trop contraint qui, en la faisant tomber à ses pieds, aurait affiché la preuve de sa forfaiture. Que va-t-elle en faire désormais ?

Alice se sait peu physionomiste. Parfaitement incapable de reconnaitre la grande blonde si elle la croise à nouveau, et les autres femmes du stand qu’elle n’a même pas regardées encore moins. Mais qu’en sera-t-il pour elles ? À peine débarquée dans une nouvelle ville, déjà marquée au fer rouge.

Un fer qu’elle a chauffé elle-même à blanc. Elle, l’avocate reconnue pour sa prestance et son agilité d’esprit lors des plaidoiries. Si jamais elle devait passer à la télé, elle imagine la grande blonde dire à son mari : La voleuse, c’est elle ! Capable de piquer une broche de quatre sous et de parader sans vergogne à l’écran ! Et même pas capable de se défendre.

Mais qu’est-ce qui lui a pris ?

En avisant une poubelle de rue, elle plonge la main dans son cabas à la recherche de l’objet délictueux mais le temps qu’elle mette la main dessus la poubelle est dépassée. Et pas question qu’elle attire l’attention en s’arrêtant. Cet ornement est maudit.

Chez elle

Elle lève les yeux vers son appartement tout là-haut. Son nid douillet. Personne ne viendra l’y embêter, lui faire remarquer qu’elle est une voleuse, une avocate sans répartie, une mère indigne.

Elle s’est offert cash cet appartement à près d’un million, et c’est une babiole à quatre euros qui vient de lui faire perdre toute dignité. Mais quelle mouche l’a piquée ?

Alice contracte les épaules, il lui faut trouver une issue pour se défaire sans délai de l’objet de son larcin. Surtout ne pas le faire entrer chez elle, pour ne pas contaminer son son fils, ni souiller son nid. Là-haut elle trouvera du réconfort, oubliera cet incident. Dans le hall, pas de poubelle. Les fentes des boîtes à lettres la tentent.  Encore une idée idiote, décidément elle a la tête à l’envers. Même sa propre boîte ne serait pas une solution.  Elle la regarde machinalement. Se focalise sur son nom, écrit sur un bout de papier scotché à la va-vite. Le marquage le plus moche de tout le panneau. Même pour un truc aussi bête elle a failli à ses devoirs. Elle soulève le lambeau de papier pour récupérer l’étiquette du précédent occupant comme modèle. Et se fige devant le nom dévoilé.

L.ESPIES

Laurent et Louise Espiès, les précédents propriétaires, un couple qui lui a paru étrange pour le peu qu’elle l’ait côtoyé. Les pies. Une lecture qui lui avait échappé jusque là, aveuglée qu’elle était par son impatience à acquérir ce bien. Mais elle s’est fourvoyée. Son nid douillet n’est pas celui d’un aigle, il est celui d’une famille de pies. De pies voleuses. Voilà ce qui l’a fichu dedans, ce fichu appartement ! Il lui a fait perdre la tête, et il corrompra son fils.

Il faut vite qu’ils le quittent !

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Image par jacqueline macou, pixabay

Bonne année sourire !

Première galette des rois, première fève. Et pas n’importe quelle fève, une fève Smiley, pour moi qui adore les sourires !

Un sourire parce qu’une nouvelle année commence, que chaque journée apportera son lot de surprises et de rencontres. Qu’il y aura de tout à n’en pas douter dans ce que nous réserve 2023 et de belles opportunités assurément.

Je vous souhaite une excellente année à l’instar de cette galette, appétissante, moelleuse et souriante !

A la gendarmerie

Si vous possédez de vieilles armes, voici ce qui vous attend !

A la gendarmerie constitue la dernière partie du polyptique intitulé  Les vieux fusils. Retrouvez la première nouvelle éponyme en guise d’introduction et Chez l’armurier, la première partie.


A la gendarmerie

La gendarmerie ressemblait à un pavillon des années 60 avec son allure sans charme, son accès direct au premier étage par un escalier bétonné donnant sur une large terrasse, le garage au rez-de-chaussée et le jardinet engazonné tout autour.

Restez-là, j’y vais, intimai-je à mère et mari.

J’entrai dans un minuscule hall qui aurait pu être celui de n’importe quelle administration hors d’âge. Carreaux blancs au sol, murs blanc sale, quelques affichettes mal collées, huisseries en alu. Et un étroit comptoir d’accueil derrière lequel se tient une jeune gendarme en conversation avec une femme mûre.

Quelques minutes et je suis à vous, me dit-elle.

De complaints en plaintes

Derrière l’un des murs, entièrement vitré mais opacifié, je perçus quelques mouvements. La représentante de loi n’était pas seule.

Pour unique meuble un guéridon sur lequel traînaient quelques prospectus. Pas moyen de s’asseoir.

Dans un anglais de bon niveau, la gendarme expliquait à son interlocutrice son incapacité à rédiger une plainte contre un chien sans savoir à qui il appartenait. La sexagénaire insistait, ne pouvaient-ils rechercher le propriétaire ? La conversation semblait s’enliser, la gendarme y perdre son vocabulaire. We can’t do that, …, try to ask to the Maire, yes the Maire. … He must know, him. And then, you’ll go back for the plainte, complain sorry.

J’ignorais quel délit avait bien pu commettre le clébard. Un vol de saucisse ? Un déplumage de poule ? L’affaire ne semblait pas tragique non plus.

Excuse me, dit la gendarme en décrochant le téléphone. À qui ai-je l’honneur ? Joli, me dis-je, formule un peu plus élégante que T’es qui, toi ? Certains pourraient en prendre de la graine. Oui, monsieur Lamblin. Vous avez déjà appelé, je me souviens parfaitement. Que fait la dame, elle vous menace ? … Elle menace des passants ? … Elle parle toute seule, mais ce n’est pas un délit ça monsieur. Votre femme a peur d’elle et n’ose plus sortir, je comprends monsieur, mais elle se trouve où cette personne, dans votre jardin ? … Si elle est sur la voie publique, on ne peut pas intervenir. À part lui demander de ramasser les deux frites qu’elle aurait fait tomber… Oui, monsieur Lamblin, je vais contacter mes collègues de la patrouille pour voir s’ils auraient le temps de passer, mais je ne vous garantis rien, il y a beaucoup d’appels en ce moment.

L’anglaise écoutait d’un air distrait, la gendarme leva les épaules comme pour nous faire part de son impuissance à régler de tel litige. Mon tour arrivait, je le sentais. À travers la porte vitrée, je fis signe à chéri, en contrebas, de patienter un peu.

Je préparais mentalement ma demande. C’est pour un abandon d’armes. La formule consacrée, selon l’armurier. Abandon d’armes. J’aurais dit Donner, Remettre, Me débarrasser, pas Abandonner. Il y avait quelque chose de culpabilisant dans ce terme. Mais il n’était pas l’heure de chipoter, le principal étant de se défaire de cet arsenal une fois pour toute.

See with le Maire, certainly he knows the owner, insista la gendarme à bout d’argument. L’anglaise lâcha l’affaire, résignée.

Je fis un pas en avant, tandis que le téléphone sonnait à nouveau. La gendarme me lança un regard agacé. Depuis ce matin c’est comme ça, chuchota-t-elle.

Yes. I know. I can’t do anything else. I’ve informed my collegues, they’ll come soon. They are on an urgency before. I can’t say how long… I’m sorry. Yes… sure.

Je croyais que le Brexit avait dépeuplé le sud-ouest, mais les Anglais semblaient encore bien ancrés dans les parages.

Abandon d’armes

La gendarme me fit signe d’approcher, enfin. C’est pourquoi ?

— Pour un abandon d’armes.

— Hum, il faut que je voie avec mon supérieur, il a plus l’habitude que moi. De quel type sont vos armes et vous en avez combien ?

— Quatre fusils de chasse. Je vais les chercher.

J’appelai Chéri depuis la terrasse. Apporte le bazar !

Le temps que Chéri peste dans l’escalier, les bras chargés des encombrants fusils – C’est lourd ces machins ! – et les dépose sur le comptoir, le gradé avait fait son apparition. Venez avec moi, dit-il.

Je m’en occupe, assurai-je à mon mari. Reste avec ma mère. Ça va être rapide, ajouta le gendarme.

La jeune gendarme était repartie à son téléphone et je l’entendais se débattre avec un insistant. Oui, monsieur Gilbert, j’ai tout noté. J’ai transmis, il faut attendre. C’était hier, on ne peut pas aller plus vite. Je connais très bien votre dossier, c’est pas la peine de me rappeler les faits. Oui, re-téléphonez, mais pas avant une bonne semaine. Il est inutile de nous relancer trois fois par jour. Au revoir, monsieur Gilbert.

Le gradé me fit asseoir dans un bureau où il avait apporté les carabines. Cadillou va enregistrer votre acte.

Je m’interrogeai sur l’identité de celui que l’état civil avait affublé de ce drôle de patronyme. Cadillou. Il m’évoquait un film avec Fernandel, un âne ou un grand gaillard un peu ballot. Le simplet du village, aussi.

C’est la jeune gendarme qui arriva. Oui, Lieutenant, je vais enregistrer l’acte mais je dois d’abord répondre au plaignant qui vient d’arriver.

Le lieutenant, pendant ce temps, bataillait à extraire les munitions de la cartouchière, collées par des décennies d’inutilisation. Bataillait, c’était lui prêter plus d’énergie qu’il n’y mettait. Clairement il s’occupait en attendant que sa subordonnée ait une minute à elle.

À peine eut-elle glissé un ranger dans le bureau que la sonnette de la porte retentissait à nouveau. Je reviens, dit-elle. Le lieutenant ne moufta pas. Pas même un battement de cil plus rapide. Nous entendîmes la jeune gendarme éconduire le visiteur. Je ne vais pas pouvoir prendre votre déposition aujourd’hui. Pourriez-vous revenir demain ?

La déposition

La gendarme finit par arriver pour de bon. S’assit face à moi, son supérieur à ses côtés. Je vous écoute, Lieutenant, comment je procède ? J’ai encore jamais fait ça.

Il lui montra quelque chose sur son écran d’ordinateur. Vous ouvrez un PV. Là. Vous cochez Abandon d’arme. Et vous répertoriez. Notez, ordonna-t-il en manipulant les armes : une carabine sans numéro, modèle inconnu, calibre 32. Une autre, elle est jolie celle-là, idem.

— Si vous voulez la garder, tentai-je.

— On n’a pas le droit. Elles vont partir aux Douanes.

— Juste un instant, intervint la gendarme. Je vais faire une photo pour mon grand-père. Il ne va pas en revenir.

Une simple photo en guise de trophée. La loi se révélait implacable même pour les gendarmes.

— Encore une, sans numéro, sans marque, du 22 certainement. Et un 22 Long-Rifle sans numéro, poursuivait le gradé.

— J’ai une déclaration pour celui-là, dis-je en tendant le papier.

— Vous avez une autorisation de détention d’arme ?

— Ah non, rien du tout. Elles ne sont pas à moi ces armes.

— Mais c’est vous qui les abandonnez.

— Elles appartiennent à ma mère qui les a héritées de son père, et c’est mon père, son mari donc, qui a déclaré le 22 Long-Rifle pour se mettre en accord avec la loi il y a… quelques années, mais la loi a changé…

— Il nous faut la pièce d’identité du déposant. C’est votre mère ou c’est vous ?

— Ma mère a quatre-vingt-dix ans, elle attend en bas, elle va pas grimper jusqu’ici. Alors c’est moi.

Décidément rien ne bougeait chez le lieutenant. Une façade sans émotion. Une voix sans intonation. Je ne ressentais rien d’autre à ses côtés qu’une froide bienséance. La gendarme vint à mon secours en prenant ma carte d’identité. Peu importe le déposant, on n’a aucune justification à vous demander, me rassura-t-elle.

Bon, cochez bien Déclaré pour le 22 Long-Rifle. Absence de permis de chasse et de détention d’arme. Notez aussi 23 cartouches et 16 balles, continuait le Lieutenant en déposant sur le bureau de la gendarme les sachets qu’il avait rempli des munitions. Voilà c’est presque fini, ça va prendre cinq minutes.

Et s’adressant à moi : Reprenez la cartouchière, on n’a pas à la transmettre. Et il sortit du bureau.

Informatique poussive

— Vous pouvez la vendre, la cartouchière, commenta la gendarme tout en tapant sur son clavier. Certains en recherchent encore.

— Si vous connaissez un chasseur, donnez-la lui.

—  Mon grand-père serait content.

— Alors prenez-la, c’est votre grand-père ou Emmaüs.

La gendarme la fit glisser derrière son bureau avec un sourire de satisfaction. Elle avait son trophée.

—  Donc Abandon d’arme. Motif : Succession ?

— C’est ça.

— Lieutenant ! cria-t-elle.

Il revint.

— Je dois faire un PV par arme ? Je ne peux pas entrer les quatre sur le même.

— Non, un seul et vous mettrez les descriptions sur le Cerfa.

Il repartit.

Le téléphone se manifesta. Oui je sais, j’ai prévenu la patrouille, ils vont passer monsieur Lamblin. Je ne peux pas faire plus. Au revoir monsieur Lamblin.

Je pensais que des frites avaient dû tomber sur le trottoir.

La porte sonna à son tour. On se serait cru dans un jeu où il fallait courir après des alertes. Dring dans le bureau, dring à la porte, re-dring dans le bureau. La gendarme se leva en me priant de l’excuser. Je fais vite, promit-elle.

PV, Cerfa et téléphone

Effectivement elle revint sans trop tarder. J’avais eu le temps d’envoyer un sms à chéri. Fais patienter Maman, c’est en cours.

Un seul PV qu’il dit, bougonna-t-elle avec une moue désabusée. Lieutenant ! appela-t-elle.

Il revint d’un pas égal et se plaça devant l’écran de sa subordonnée.

— Quand j’ouvre un Cerfa j’ai nécessairement un PV qui s’ouvre aussi, lui exposa-t-elle.

— Vous cliquez là, vous mettez Sans Objet et vous fermez, assura-t-il en maniant la souris. Ah non, le PV reste… Bon, eh bien, quatre PV.

— Et quatre Cerfa.

— Elle est admirable, dis-je au Lieutenant comme si j’avais besoin de racheter son impertinence aux yeux de son supérieur. Elle gère tout avec une patience exemplaire.

— C’est un bon élément, me répondit-il sans un regard pour elle, avant de se retirer derrière ses vitres dépolies.

— Désolée, ça prendra plus de cinq minutes, se justifia-t-elle avec un haussement d’épaule d’impuissance.

Je lui décernai un sourire compréhensif. Déjà une demi-heure que je m’étais présentée devant elle.

La sonnerie du téléphone retentit à nouveau. Oui madame Cazal, je note, de la fumée. Le feu, il est dans votre jardin ? C’est votre voisin qui l’a allumé, j’ai bien compris, mais où ? Dans son pré. Y a-t-il du bois à proximité, un risque de propagation ? Votre voisin est sur place, il surveille, tant mieux. Mais c’est interdit par la loi. En effet. Quelle est votre adresse ? Manoure ? Avec le M de Manon ou le N de Noël ? Nanoure ? Je vous entends mal, madame. Je ne suis pas d’ici moi madame, je ne connais pas tous les lieux-dits de notre circonscription, vous en déplaise ! Alors Manon ou Noël ? Maman. D’accord, si vous préférez, donc Manoure. Avec un S à la fin, j’ai compris. Un S comme Sophie, Stéphane, Sofiane, Sergent… Manouresse. Bien madame Cazal, c’est enregistré, la patrouille va passer.

Ah mince, je n’ai pas demandé la commune ! pesta la gendarme en raccrochant. Je note le signalement et je suis à vous.

Manoures c’est sur la commune de Payssac, je connais bien, intervins-je tout en composant un sms : Plus long que prévu. Fais patienter Maman.

Et Cazal, comment ça s’écrit Cazal ? J’ai oublié de faire préciser, ragea la jeune femme.

Je cherchai sur mon téléphone, Cazal – Manoures – Payssac, et clamai triomphante : Cazalle, deux L, E. Il est carrossier.

Merci, répondit la militaire. Les gens ils croient qu’on sait tout. Je suis arrivée il y a deux mois, je viens d’Orléans et je passe la plupart du temps dans ce bureau, comment est-ce que je pourrais tout connaitre de la région ?

Je la confortai d’un sourire compréhensif.

On va reprendre. Je vais couper le téléphone, sinon on ne va pas y arriver. Je finis mon service dans une minute. Enfin en théorie.

Je me dis que les chiens errants, les feux de paille, les burgers-frites sur la voie publique pouvaient bien attendre au lendemain, les faits plus graves aussi, que dans la vie il y avait des priorités et que celle du jour c’était un lot de pétoires, que le monde était finalement bien pensé.

Le sablier

Putain ! Oh pardon, je suis désolée, dit-elle avec une moue qui semblait plus amusée que désolée. Mon ordi est bloqué ! C’est toujours pareil, regardez ! dit-elle en tournant son écran vers moi.

Une jauge horizontale se remplissait nonchalamment tandis qu’un sablier tournait.

Ils disent que je ne sais pas me servir de l’ordi, que les PV prennent cinq minutes, tu parles !, pas avec ce dinosaure ! Avant je pouvais me mettre sur n’importe quel poste, ça allait, mais maintenant on a un poste attitré.

Je pensai qu’à l’armée, plus qu’ailleurs, chaque Homme a sa place et chaque tâche son Homme, et que la jeune femme face à moi était bien mal barrée dans cet ordre-là.

— Ah c’est reparti ! Bon alors qu’est-ce qu’on a dit calibre 22 pour la 22 ? ou 32 ?

— Je sais plus…

— Bon, je vais en mettre une en 22 et une en 32.

— Si ça vous va…

— Et voilà, ça bugue encore, souffla-t-elle. Rifle, ça s’écrit comment ?

Je proposai un seul F.

— Ça ne change rien, c’est bloqué, râla-t-elle. Et en haussant la voix : Lieutenant, c’est pas moi qui ne sais pas me servir du matériel, venez voir !

Je remarquai alors son gilet pare-balle et son arsenal à la ceinture.

— Vous n’avez pas chaud dans votre harnachement ?

— Oh si, lâcha-t-elle, mais c’est le règlement. Je transpire avec ce poids ! Je change mon polo en dessous trois fois par jour et j’ai encore l’impression de puer tout le temps.

Des pas dans le couloir. Je m’attendais à voir apparaître le lieutenant, portant beau dans son mince polo de quelques grammes, mais c’est deux autres têtes qui s’affichèrent dans l’encadrement de la porte. Au revoir, on a fini notre service, à lundi !

Regardez comme ça bugue, les prit-elle à témoin, quand je vous le dis et que vous ne voulez pas me croire… mais sa phrase n’était pas terminée que déjà la porte extérieure claquait. Bye bye les collègues compatissants.

Moi aussi j’ai fini mon service, enfin je suis censée. Et après vous, j’ai encore deux bonnes heures de boulot. Quand j’appelle ma mère à vingt heures, elle croit que j’ai eu le temps de faire les courses, la fête et tout le reste. Tu parles, je sors juste du travail. Elle était contente au début de me voir gendarme, maintenant elle déchante.

Je me dis qu’elle n’était certainement pas la seule, à déchanter. Et que ça faisait déjà une heure largement sonnée que je poireautais dans cette gendarmerie.

Copies et croix

À coup de sablier sur l’écran et de soupirs de la jeune gendarme, les enregistrements furent saisis. Voilà j’ai fini, y’a plus qu’à sortir les docs. Cinq minutes, il disait, et ça fait une heure et demie. Je vais chercher les feuilles, me dit-elle. Et plus fort, en passant la porte : Lieutenant, ça va être bon pour la signature !

J’en profitai pour envoyer un sms à chéri : Plus que la signature !

Mince ! pesta la gendarme à son retour dans le bureau. Ça m’a tout imprimé en recto-verso, une partie des PV se trouve au dos des Cerfa. J’ai plus qu’à faire des photocopies. Je reviens !

Je me demandais combien de fois elle avait dit ces mots : Je reviens. J’aurais dû compter. J’aurais eu mon jeu moi aussi, à elle les sonneries, à moi les Je reviens.

J’entendais le copieur ronronner par à-coups à travers la cloison et la gendarme pester. Putain, c’est quoi ce matos ! sans se soucier d’offusquer son supérieur. Elle me plaisait bien cette gendarme.

Elle réapparut portant un paquet de feuilles quelque peu anarchique. Tenez-moi ça, elle me dit, on va les remettre en ordre. Je lui passai les feuilles une à une dont elle vérifiait les références. Et merde ! s’autorisa-t-elle à nouveau.

— Qu’est-ce qui se passe cette fois ? m’inquiétai-je.

— La croix devant Arme déclarée, celle pour le 22 Long-Rifle, elle a été reprise sur tous les PV quand j’ai dupliqué le doc.

— Il faut tout recommencer ?

Je sentais la fièvre me gagner en pensant à ma mère et à mon mari qui m’attendaient dehors par ce temps maussade. Justement un bip dans ma poche semblait me rappeler à l’ordre.

— Je vais chercher du Tipex, ça passera pour la préfecture.

J’en profitai pour dégainer mon téléphone. C’était chéri comme supposé : Il cherche son stylo ?

Du Tipex, je pianotai.

À jamais

La gendarme revint sans tarder, et me passa les feuillets à signer au fur et à mesure qu’elle en masquait la croix. Elle recompta. On a bien les quatre Cerfa, commenta-t-elle, les quatre PV, deux exemplaires de chaque. C’est parfait. Il ne manque plus que la signature du lieutenant.

Il signera plus tard, vous n’avez pas à attendre, ajouta-t-elle en percevant certainement un signe d’angoisse sur mon visage. Et elle me tendit les feuilles de reçu. Voilà, c’est juste une formalité mais si jamais vous aviez un problème par la suite avec ces déclarations, demandez Cadillou. C’est moi.

J’acquiesçai tout en priant de ne plus avoir affaire à elle. Mais il n’y a pas de raison ajouta-t-elle à point nommé. Décidément elle lisait en moi.

Elle regarda sa montre en me raccompagnant dans le microscopique hall. Et voilà, ma mère va encore se demander ce que je fous.

— Bon courage à vous et bonne fin d’après-midi.

— Plus que les dernières transmissions et je serai en congé pour trois jours, dit-elle avec le sourire d’une enfant de six ans à qui on a promis un tour de manège.

— Au revoir !

Je laissai la porte claquer derrière moi et descendis l’escalier à vive allure.

Indécrotable

— Ah te voilà, dit ma mère, je m’inquiétais.

— Tu t’inquiétais pour quoi ?

— Parce qu’on aurait pu te causer des tracasseries à cause de ces armes. On ne t’a pas fait de reproches ?

— Non Maman, c’était une simple formalité, beaucoup de paperasse et de temps mais rien d’embêtant. Maintenant c’est fait, on est débarrassé, c’est une bonne chose : plus d’arme à la maison. Ça ne valait pas la peine d’imaginer des solutions moins légales, taquinai-je ma mère en l’aidant à attacher sa ceinture de sécurité.

Et nous rentrèrent chez nous.

— Finalement, dit ma mère après un long silence que je mettais sur le compte de la fatigue, ça n’a pas été compliqué. Tu aurais pu en profiter pour rendre le pistolet de ton père.

— Quel père ? Non, je veux dire, quelle arme ?

— Le pistolet que ton père a rapporté d’Algérie. À la fin de son service militaire.

— C’est quoi ça encore ? Vous n’en avez jamais parlé ! Il est où ce truc-là maintenant ?

Ma température corporelle était montée d’un cran.

— Dans l’épaisseur de la tête de lit. Ton père ne savait pas trop comment s’en défaire. On a trouvé cette cachette, et il y est toujours. C’est dommage que je n’y aie pas pensé ce matin.

— Tu as raison sur ce coup-là Maman, c’est bien dommage que tu n’en aies pas parlé plus tôt. Ni ce matin ni jamais. Alors réfléchis bien, as-tu d’autres armes planquées quelque part ? Je sais pas moi, des sabres japonais dans le plafond, une arbalète dans le garage, un bazooka dans le grenier, un obus dans un pot de fleurs… réfléchis bien s’il te plaît.

— Le pistolet, on pourrait l’enterrer sous l’étendoir à linge.

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Photo : devenir-gendarme.com

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boite a tabac ancienne

La boîte à tabac

boite a tabac ancienneDans ma bibliothèque cette kitchissime tête de marin. Une boîte ancienne offerte par un oncle en souvenir de ses parents il y a longtemps déjà. C’est elle qui m’a inspiré ce passage dans  Point à la ligne :

Adrienne parcourt du regard les bibelots alignés. Des bougeoirs, une lampe à pétrole, des bonbonnières, des vide-poches, des cendriers, des statuettes. Elle s’accorde d’en conserver seulement trois et son choix se porte d’abord sur la boîte en fine porcelaine représentant une tête de marin coiffée d’une casquette, avec le nom Deauville écrit sur la visière. Marcel et elle avaient tellement ri de cette tête grisonnante et barbue, pipe à la bouche, en imaginant Marcel ainsi quelques décennies plus tard, qu’ils l’avaient achetée. C'était lors de leur premier voyage ensemble, son mari et elle. Son second mari à vrai dire.

J’ai découvert depuis qu’il s’agit d’une boîte à tabac. Adrienne ne pouvait l’ignorer.

Bizarres rencontres

Des rencontres bizarres, on en fait tous. J’ai déjà parlé du drôle de montagnard du métro. Mais il y a quelques semaines, ce fut un âne, tiré par une jeune femme  avenue Daumesnil à Paris. Plus récemment, près de la station Chevaleret un homme simplement vêtu d’un slip et d’un pull, dont le visage était barbouillé de blanc, comme à la gouache. Et ce matin, dans le métro, une fillette dont la tête m’évoqua celle d’un jeune renard. Yeux ronds, petit nez, menton court et oreilles pointues.

Sur l’instant chacune de ces rencontres me renvoie à la récurrente interrogation sur la possibilité d’existences parallèles. Ces gens-là viennent-ils d’un autre monde, d’un monde fantastique qui cohabiterait avec le nôtre ? Qui ferait que tout est encore plus possible , le meilleur comme le pire, tel que Marie, l’héroïne de mon roman Merci Gary, le découvre ?

Extrait :

Marie, déjà revenue dans le séjour, l’entendit à peine. Elle ouvrit la baie vitrée. S’appuya sur le muret de brique entourant la terrasse, comme pour reprendre son souffle après avoir manqué d’air. Jetant un œil à la courette arborée en contrebas, elle y aperçut un chat blanc qui la traversait. Sa course lui parut bizarre, il bondissait comme un lièvre. À cet instant, un hululement de chouette retentit à proximité. Elle ne s’en étonna pas plus. Rien, ce jour-là, ne pouvait la surprendre au-delà de ce qu’elle était en train de vivre à l’instant.

Image Pixabay