J’ai envie de vous parler d’elle et pourtant je ne la connais pas. Je ne sais même rien d’elle.
Je l’ai aperçue deux ou trois fois sur le quai du métro à la station Quai de la Gare, en allant travailler de bonne heure le matin.
Facile à repérer. On ne voyait qu’elle. Aussi clinquante qu’une boule à facettes. Des paillettes du sommet du crâne – serre-tête à froufrous lamés – jusqu’aux baskets en plastique doré. Blouson en lurex argent, jupe corolle strassée multicolore, collant argenté. Une tonne de bimbeloterie par-dessus le tout, aux oreilles, autour du cou, aux poignets, aux doigts. Fugitive rencontre, la rame déjà repartait.
Une fois, elle est montée dans le wagon. La soixantaine avancée, je dirais, des rides en pagaille, un cou plissé qui tranchaient avec ses fringues de princesse de dix ans et son gabarit fluet. Un drôle d’oiseau. Elle fredonnait, souriante, faisant cliqueter ses bracelets comme des maracas. De fins cheveux blonds retenus en arrière par une pince, assurément brillante. Des yeux bleu clair aux paupières fardées elles aussi de bleu. Bleu irisé. Des gestes larges, avenants, Montez messieurs dames y’a de la place. Gouaille aux accents parisiens. Relent de faubourg.
À peine croisées. C’est moi qui ai quitté le métro à la station suivante.
Hier, je l’ai revue. En milieu de matinée cette fois-ci, je l’ai tout de suite repérée sur le boulevard en contrebas de la station aérienne. À l’extrémité du passage clouté, elle gesticulait, allègre, pour faire circuler les voitures tel un agent de police éméché. Je l’imaginais, Passez messieurs dames, passez !
D’aucuns doivent la trouver foldingue. Douce folie qui fait valser la vie.
Que cachent sa jovialité et son besoin d’illuminer son quotidien ? Je ne peux qu’imaginer des blessures profondes, un traumatisme à enfouir sous des tonnes de paillettes, un sourire sparadrap, la volonté inébranlable d’aller bien quand tout va mal.
A moins qu’elle soit née étoile. Filante sur les boulevards parisiens. A bientôt peut-être, je ferai un vœu en la croisant.
Image : Ulrike Mai de Pixabay