Bonjour Madame, bonne journée ! Maria pousse son chariot dans le couloir de l’hôtel. Certains clients la saluent en passant, telle cette femme à l’instant, d’autres ne la voient pas, comme si elle n’était que cette plante posée près de l’ascenseur ou ce vase sur la console du hall. Elle en a pris son parti. Elle a un job stable qui lui procure un Smic mensuel, ce n’est pas le Pérou mais de là où elle vient c’est déjà l’Amérique.
Elle en a connu des galères, du travail de nuit, des employeurs peu scrupuleux, malhonnêtes pour certains. Elle a toujours été bonne, bonne avec les autres et bonne chez les autres. Ménage, repassage, course… à se casser le dos et s’abîmer les mains, mais elle ne sait rien faire d’autre, c’est ce qu’elle croit du moins, comme si s’appeler Maria prédestinait à cette condition de femme de ménage.
Depuis qu’elle travaille dans ce nouvel hôtel trois étoiles, sa vie a changé. Elle se brise toujours le dos et s’esquinte les mains, mais elle a des collègues avec qui partager souffrances et petits bonheurs, des horaires fixes – 7h-14h, une paie qui tombe le dernier jour du mois ainsi que des relations saines avec son employeur. Elle n’est pas de ceux qui rechignent à la tâche, qui se plaignent du salaire minimum et des exigences du patron, qui envient les clients. Elle arrive à l’heure, fait son boulot, partage quelques moments complices avec ses collègues et rentre chez elle en début d’après-midi pour s’occuper de son intérieur avant de récupérer son fils à la sortie de l’école. Sa seule espérance est de conserver cet emploi aussi longtemps qu’elle sera capable de travailler.
La chambre dans laquelle elle entre est ordonnée. Ce n’est pas courant. A la forme des draps, au nombre de chaussures, à d’infimes détails, elle sait qu’une seule cliente occupe cette chambre. Le contenu de la salle de bain le confirme. Des crèmes de luxe, une brosse en poils de sanglier, une brosse à dents. Maria récure la baignoire, les toilettes, change les serviettes.
Dans la chambre, elle tire les draps, tapote les oreillers, repositionne le repose pieds. Elle plie avec soin le peignoir en soie rose qui attendait sur le fauteuil et le dépose délicatement sur le lit. Elle époussète la table de nuit, replace soigneusement les effets qui s’y trouvaient. Un livre, un stylo, un petit carnet brun. Sur la tablette-bureau, elle rassemble feuillets et magazines en deux piles ordonnées. Sous l’un d’eux, elle découvre un bijou. Une bague dorée avec une pierre bleue et des brillants tout autour. On dirait la bague de fiançailles de Lady Diana, Maria l’a contemplée dans un ancien magazine qui trainait chez son médecin. Elle l’observe. Une vraie bague de princesse.
Elle devrait la reposer aussitôt, la laisser bien en vue. Cesser de la regarder. Mais c’est plus fort qu’elle, elle passe son annulaire gauche dedans, enfile l’anneau jusqu’à la jointure et lève la main à hauteur d’yeux. Les pierres brillent, c’est elle qui est une princesse maintenant.
Le temps d’un éblouissement et la raison reprend le dessus. Vite, il lui faut la retirer. Mais la bague coince et Maria panique. Son cœur s’emballe, ses doigts tremblent. La porte de la chambre s’ouvre, une femme distinguée entre le sourire aux lèvres. Bonjour ! Vous avez… La femme regarde l’employée à l’air décomposé et la bague au bout de son doigt qu’elle ne cherche même pas à cacher.
Je suis désolée, susurre Maria les yeux baissés vers la moquette. Vous avez retrouvé ma bague, c’est une bonne nouvelle, je croyais l’avoir oubliée dans les toilettes d’un restaurant hier, rétorque la cliente en tentant de capter le regard de la femme de chambre. Comment vous appelez-vous ?
Maria donne son prénom d’une voix hésitante. La femme va la dénoncer, c’est mérité.
Maria, comme ma grand-mère, c’est un joli prénom, commente cette dernière en se rapprochant de l’employée. C’était une femme charmante et cette bague me vient d’elle, c’est pour cela que j’aime la porter.
Maria a pu retirer le bijou, le pose sur le bureau, les joues rougies par la honte. Cette bague est vraiment magnifique, je suis désolée…
Vous n’avez fait que l’essayer, jusque là ce n’est pas un crime, tempère la femme en plantant ses yeux dans ceux de Maria comme si elle y enfonçait le bras pour en retirer la bonde, je suis arrivée au mauvais moment, je n’en aurais certainement rien su autrement.
Sous le regard inquisiteur de la cliente, Maria sent ses vêtements tomber. Mais sa nudité fictive, étonnamment, lui redonne un semblant d’aplomb comme si elle révélait que son âme n’a rien à cacher. Je ne suis pas tentée d’habitude, je ne comprends pas, c’est la première fois que je me permets une telle attitude… assure-t-elle, mais la femme la coupe. Ce doit être tellement difficile pour vous toutes ces tentations. C’est aussi de ma faute, je n’avais pas à la laisser trainer. Et puis, il doit y avoir un effet Maria. Ma grand-mère tenait certainement à ce que vous l’essayiez. Avez-vous terminé ma chambre ?
Oui, madame, répond Maria. Presque elle ferait une courbette. Je vous souhaite une bonne journée.
Dans le couloir, elle s’agrippe à son chariot. La tête lui tourne. Tu es pâle, remarque sa collègue Janie, va te rafraichir un peu et mange un bonbon.
Tout l’après-midi, Maria pense à son forfait, se torture à coup de remords, se noie dans sa culpabilité. La nuit elle imagine le pire, la dénonciation, le licenciement pour faute lourde, le loyer qu’elle ne pourra plus payer, la rue pour son fils et elle. Les clients qui sont tout sourire et se plaignent pour trois fois rien auprès de la direction, elle les connait bien. Pour une tentative supposée de vol, elle ne peut y couper. La cliente lui a paru aimable, a parlé comme si elle ne prenait pas la chose au tragique, mais elle n’est certainement pas différente des autres. Maria se reproche sa faiblesse, transpire, tourne et retourne. Le sommeil la fuit comme si elle était devenue infréquentable. Quand elle doit retourner à l’hôtel le lendemain matin, c’est un calvaire.
En début de matinée, elle croise son patron, baisse la tête. Maria, vous avez un souci ? lui demande-t-il. Non, non, je suis fatiguée, élude-t-elle.
En fin de service, ne pouvant plus éviter l’étage fatidique, elle passe devant la chambre 223, celle de sa honte. Janie en sort, sourire aux lèvres. Sympa cette cliente, elle a laissé un pourboire et un mot : Merci pour tout !
Tu l’as vue sortir ? demande Maria. Non, répond sa collègue, mais selon Dominique, elle serait partie de très bonne heure. Il a fait son check-out à sa prise de service.
Il n’a rien dit à propos de la cliente ? s’inquiète Maria. Non rien de plus que ce départ à l’aube, pourquoi ? Janie fronce les sourcils.
A cet instant, le directeur de l’établissement sort de l’ascenseur et se dirige vers elles. Le coeur de Maria tambourine à lui défoncer la cage thoracique. Elle se tourne vers son chariot à la recherche d’un morceau de savon pour ne pas avoir à croiser son regard.
Bonjour mesdames, tout va bien ?
Ca va, répond Janie d’un air désinvolte. Absolument, renchérit Maria.
Oui tout va bien, pense t-elle en sentant ses épaules s’alléger d’un invisible manteau de plomb. La vie parfois n’est pas si chienne.
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