Archives mensuelles : septembre 2024

L’aéronaute

Quelques dizaines de personnes se pressent devant la grange. Quand est-ce qu’on s’envole, maman ? s’impatiente un ado. Quatre personnes en uniforme sortent alors du bâtiment dans le mouvement ordonné d’une parade. Chemises blanches à galons dorés, casquettes au logo ailé vissées sur la tête, port altier, ils font leur petit effet. Devant le dernier modèle d’Iphone, l’adolescent aurait le même regard ! La seule femme du quatuor prend la parole. Les passagers, rangez-vous à droite, les accompagnateurs à gauche ! Regroupez-vous par équipage à l’appel de votre nom.

Philippe et Catherine, vous pouvez immédiatement rejoindre la jeep là-bas pour le vol VIP, avec Bernard Latouche, dit Berny, pour pilote ! Pendant que le professionnel le plus âgé sort du rang pour se rapprocher du couple, la femme continue à égrener sa liste. Paul, Selma, Marine, Edgard, Marie-Louise, Rachid…

C’est la première fois que vous allez voler ? demande Berny pendant que Zad, son équipier, les conduit vers le terrain de décollage.  Qu’on vole, non, mais c’est une première en montgolfière, répond Catherine. Un peu d’appréhension peut-être ? Pas vraiment, assure Philippe, mais curieux de connaitre de nouvelles sensations.

Berny regarde sa fiche, Vous êtes Catherine et Philippe, c’est bien cela. Bon, j’aurai oublié vos prénoms dans cinq minutes, ne vous étonnez pas si je ne vous appelle pas. Vous avez qu’à nous appeler Machin et Machine, si ça peut vous aider, suggère Catherine.

Dans le champ récemment fauché, Zad et Berny s’attellent à la préparation du ballon tout en distribuant des consignes aux deux passagers. Tenez la toile ouverte comme ça devant le souffleur, c’est bien. Avant de monter dans la nacelle, quelques règles de sécurité. Il faudra vous tenir l’un devant l’autre, serrés sur le bord, les mains à l’intérieur. Vous êtes en couple, n’est-ce pas ? Alors la promiscuité ne devrait pas vous poser de problème. Pour grimper dans la nacelle, on met ses pieds dans les échancrures, on s’assoit et on lève les genoux pour basculer ses pieds à l’intérieur. Si vous êtes un peu sportifs, ça ira.

Le ballon s’élève dans le ciel. A tout à l’heure, Zad !

Vous avez quatre barrettes sur l’épaule, comment faut-il vous appeler ? demande Catherine. Je suis commandant de bord, répondit Berny en bombant le torse, mais appelez-moi Berny. Comment devient-on aéronaute ? poursuit la passagère. Une formation de plusieurs années, 400 heures de vol au compteur. Montgolfière ou avion, ça relève de l’aviation, d’ailleurs on a des modules communs avec les pilotes d’A320, précise-t-il avec une fierté apparente. Je voulais plutôt parler de votre vocation, dit Catherine. Ah ça, j’ai toujours été attiré par les ballons… regardez le château là, c’est celui de Sallier. Vous connaissez la région ? Pas bien, répond Philippe.

Les gens nous regardent d’en bas, faites bonjour ! ordonne le pilote. Penchez-vous un peu plus, ils sont contents de nous voir, ajoute-t-il avec de grands mouvements de bras comme s’il voulait éloigner des pigeons. C’est comme ça que j’ai rencontré ma femme, elle m’a vu en ballon, elle a craqué, dit-il en gesticulant de plus belle. Catherine reçoit sa main dans le visage, sans qu’il s’en aperçoive, tout à son affaire de salut à l’intention d’un petit groupe de personnes massées sur un parking. Oh, regardez, il y a une fête là-bas, on entend de la musique. Ce doit être dans le nouveau gymnase… Vous parlez du bâtiment gris avec les trois cheminées ? demande la passagère ? Oui, c’est ça, le gymnase, confirme Berny. J’ai entendu parler de l’inauguration d’un centre aquatique, ce ne serait pas plutôt cela ? insiste Catherine. Non, non, c’est un gymnase, et là regardez on dirait une estrade avec des gens dessus, qui nous regardent ! Si ça se trouve y’a la presse, on se verra dans le journal demain. La montgolfière vient nous saluer ! ça ferait un chouette titre.

On se rapproche de la rivière, se réjouit Philippe. On aperçoit une chaussée, là-bas. Y’a une écluse avec un magnifique petit manoir juste au bord, confirme Berny. Il est à vendre je crois. Moi qui suis amateur de belles pierres, j’y habiterais bien. Pas vous ? Je ne sais pas, certainement, il faudrait voir, répond Catherine. Vous faites bien la difficile, si on vous le donnait, vous ne le prendriez pas ? Il ne doit pas être facile à entretenir, souffle Catherine sous le regard amusé de son mari. Alors elle vous plait cette région, maintenant ? demande Berny. On va atterrir là-bas, regardez Zad nous fait signe.

Deux minutes plus tard, la nacelle se pose sur un terrain de foot. Nickel, vous avez été d’excellents co-pilotes, les complimente Berny tandis que Zad manœuvre la jeep pour l’amener au plus près de la nacelle. On n’a rien fait, constate Catherine.

Quand la nacelle est arrimée à la remorque, la toile savamment repliée dans sa housse, Berny attrape deux feuilles cartonnées dans la jeep et les remet au couple. Vos diplômes. Vous savez voler ! clame-t-il. Zad, qui vient d’installer une petite table de camping sur l’herbe, sort une bouteille de champagne d’une glacière et quatre gobelets en carton. On va trinquer à ce premier vol ! dit Berny. C’est pas la peine, c’est le vol qui nous intéressait, dit Catherine. On a opté pour la formule VIP pour ne pas être vingt dans la nacelle, ajoute Philippe. Mais Berny insiste. Avec cette formule, on doit prendre soin de nos hôtes pour qu’ils se sentent VIP ! Alors c’est champagne obligatoire ! déclare Zad en débouchant la bouteille.

En levant son gobelet en carton, Catherine lance, A ton anniversaire, chéri ! Et à l’intention du pilote et de son équipier, elle précise Ce vol, c’est mon cadeau d’anniversaire, il y a des années plus importantes que d’autres ! C’est pour vos cinquante ans, n’est-ce pas ? raille Berny. Un peu plus, confie Philippe. J’ai lu votre fiche, s’amuse le pilote, hein Zad, on sait tout sur eux ! C’est moi qui ai cinquante ans, à peine plus, ça vous étonne ? Je sais, on m’en donne quarante-cinq. J’ai fait beaucoup de sport, c’est vrai. Ah oui, quels sports? demande Catherine. De l’athlétisme, au niveau national, j’étais bon. J’ai côtoyé Galfione et Diagana, du lourd. Vous étiez spécialisé dans quelle discipline ? interroge Philippe à son tour. Oh un peu dans tout, répond Berny. Bon allez, on rentre à la base. Achetez le journal demain, si ça se trouve on aura une photo !

Le lendemain matin, l’employée du manoir près de l’écluse pose l’édition du jour du journal local sur la table où ses nouveaux patrons, les Vauguin, vont petit-déjeuner. A la Une la photo d’un bâtiment gris surmonté de trois cheminées. Philippe et Catherine Vauguin, en présence de Manuel Belon, maire de Sallier, inaugureront ce soir le centre aquatique qu’ils ont fait construire pour accueillir les futurs champions de natation de notre région. Catherine Vauguin, plus connue sous son nom civil Catherine Paille, est doublement championne du monde du 400 mètres brasse et championne olympique du relais 4×100 m quatre nages. Après son retrait de la compétition, elle a effectué une carrière scientifique au sein du Centre de recherches sur les potentialités physiques et psychiques de l’humain. Aventurière et sportive de haut niveau, elle a effectué dans le cadre de ses recherches plusieurs missions extrêmes en Alaska et au Népal. Nouvellement à la retraite, tout comme son époux Philippe, qui a été pilote de chasse avant de devenir le PDG de la compagnie d’aviation Azur, elle a décidé de venir s’installer dans sa région natale, où vit encore sa mère, Louise Paille, et d’y encourager la natation à haut niveau, en mettant à disposition des nageurs et nageuses ambitieux de la région des installations et des moyens à la hauteur de leurs objectifs…

Avant de refermer derrière lui la porte de son appartement, Bernard Latouche se retourne vers sa femme, S’il te plait, achète le journal, il y aura peut-être une photo de ma montgolfière survolant Sallier !

 

Les livres des vacances

Cet été, les soucis de santé de ma mère et, dans une moindre mesure, les caprices de la météo sont venus contrarier mes congés. Je n’ai rien eu d’autre à faire que d’accepter ces coups du sort et composer avec les incertitudes. La vie avec ses accrocs est une bonne instructrice et j’ai réalisé de nombreux progrès en ce sens ces dernières années !

Je me suis ainsi laissée porter par les vagues. Jusqu’à mes lectures que j’ai choisies sur mon chemin, délaissant ma PAL emportée (je devrais dire mon SAL, sac à lire), pour picorer des livres moins exigeants.

Nothomb, Puertolas, Ledig, Schmitt, Zafon, Gavalda, Pingeot… se mirent sur ma route. Je vous ai parlé la semaine dernière du roman de cette dernière, j’écrirai peut-être sur d’autres plus tard.

Dans le lot, il y eu même Christine Angot, que jusque-là je dédaignais, sans me souvenir si c’était à cause d’une mauvaise expérience de lecture, déjà, ou seulement de ce que j’entendais dire de ses textes.

Dans une boîte à livres, j’ai trouvé Un tournant de la vie, avec cette mise en garde signée d’une lectrice, écrite en gros sur la page de garde, comme après un accès de colère : NUL – Style journalistique – mauvais français – improbabilité du récit – A DECONSEILLER de toute urgence.

Cette alerte n’a fait que renforcer ma curiosité, et j’ai embarqué le Poche.

Mais après une cinquantaine de pages, des lignes et des lignes de dialogues d’une insipide platitude, je l’ai définitivement refermé. Et rapporté dans la boîte à livres où je l’avais retiré. Pour un autre lecteur qui l’appréciera peut-être.

 

Les Invasions quotidiennes

Première rencontre avec Mazarine Pingeot, en tant qu’écrivaine, avec ce roman Les Invasions quotidiennes, portrait d’une jeune femme bien d’aujourd’hui en lutte quotidienne avec son ex-mari, ses problèmes d’argent et ses aspirations. Tout y est, les copines de « bon conseil’, la mère toxique, le père lâche, les enfants tiraillés entre père et mère, les soucis ménagers, les achats compulsifs… au travers de situations et de réflexions pleines d’humour. Un roman frais et pétillant !

Le gamin à vélo

C’est la rentrée ! On se remet en jambes et en prose avec une petite histoire.

————————————-

Par une belle journée du mois d’août, soleil au zénith, je m’engage sur un chemin de randonnée, clairement balisé, entre forêt et ruisseau. Après quelques centaines de mètres, je croise un garçon, douze ans environ, tenant son vélo à la main. Enfant égaré ?

Tu as un souci ? je lui demande.

Il lève les yeux vers moi et, avec le regard sérieux d’un adulte, lâche d’un trait : Je voulais aller à l’observatoire mais j’ai rencontré une vipère, si je lui avais roulé dessus, elle m’aurait mordu le mollet, forcément. J’ai aperçu un sanglier avec ses petits, s’il m’avait vu il m’aurait chargé, forcément.

Enfant peureux ?

Et sur le chemin il y avait un homard avec une seule pince, poursuit-il.

Enfant conteur ?

Un homard ? je m’étonne.

Peut-être une écrevisse, mais avec une seule grosse pince. Très grosse. Elle pouvait m’attraper.

Forcément, ajoutè-je.

Enfant de la ville ?

Alors tu rebrousses chemin. Et pourquoi ne montes-tu pas sur ton vélo ?

Avec les racines et le sable, c’est trop dur et dangereux, répond-il.

Je vois, bon retour alors !

Enfant prudent.

Je suis allée jusqu’à l’observatoire, quelques centaines de mètres plus loin, cherchant du regard la laie et ses marcassins, la vipère et l’écrevisse unipince. En vain.

De cette rencontre on pourrait écrire une fable.