J’ai trouvé ce Certificat de reçu d’or parmi les vieux papiers conservés par ma mère.
Ma grand-mère, sa mère à elle, avait 15 ans en 1916 quand elle est allée remettre 10 francs or à l’Etat pour soutenir l’économie de guerre. Sa seule pièce peut-être, creuset de rêves et d’espoir, maintes fois soupesée, polie sous les doigts. S’en défaire pour des bouts de papier, combien cela avait dû lui coûter, même si la propagande organisée par la Banque de France avait ramolli les résistances, créé des mirages. J’imagine le sentiment qui l’habitait alors, mêlé de fierté et d’incrédulité. D’amertume certainement.
Se sont-ils rendus en famille échanger leur or, le père, la mère, et ses deux frères dont j’ignore s’ils étaient déjà décédés, non pas de la guerre mais de pneumonie je crois, la tête haute, chapeautés et gantés comme on se rendait à la messe alors ?
A-t-elle déposé son Louis dans un coffre ou dans une vulgaire boîte, d’une petite main tremblante ou assurée, les yeux baissés ou recherchant la confiance dans ceux de l’assermenté ? Peut-être faisait-on la queue pour échanger son or, fier de son acte civique, heureux de se montrer, de partager quelques nouvelles, les enfants dans les jambes. Certainement ne fallait-il pas afficher ouvertement son incrédulité, voire sa désapprobation. Des opposants qui planquèrent leur or, il y en eu pourtant.
Que se disaient-ils, ces enfants dépossédés de leur or, dans la cour de récréation, à l’abri des oreilles indiscrètes des adultes ? Que savaient-ils d’ailleurs de cette guerre qui ravissait leurs rêves et leur naïveté, et envisageaient-ils alors n’en être qu’à mi-horreur ?
Je ne sais quasiment rien de ma grand-mère, de qui elle était à quinze ans. Encore enfant ou déjà femme, certainement en apprentissage quelque part dans l’atelier d’une modiste parisienne. A moins que la guerre n’ait retardé sa formation.
En échange du métal, elle reçut un billet de banque de dix francs, qui valut à la fin de la guerre bien moins que l’or qu’elle avait donné, ainsi que cet autre bout de papier, à valeur lui de seule reconnaissance de l’Etat. Un certificat d’obéissance en quelque sorte, conservé soigneusement jusqu’encore, depuis plus d’un siècle déjà. Un feuillet qui n’a de prix que celui du sacrifice au nom de l’état d’une fille de quinze ans embarquée malgré elle dans une barbarie. Inestimable et dérisoire.
Le certificat a traversé les décennies, pas le papier monnaie. Qu’en a-t-elle fait à la fin de la guerre de ce billet, son tout premier, comprenant qu’elle ne reverrait jamais son or et constatant que les dix francs de 1916 avaient perdu un tiers de leur valeur en 1918 ? Cette manipulation ruina certains bons citoyens, enrichit les réfractaires inciviques. Ma famille maternelle n’était pas riche, elle le fut encore un peu moins à la sortie de la guerre. Cet argent certainement s’est-elle décidée à le dépenser. Qu’elle fut résignée ou indignée face à cet Etat menteur et spoliateur, à cette guerre qui lui avait tant enlevé, elle ne dut guère avoir le choix.
J’espère, et j’imagine, qu’en 1918 c’est le soulagement qui prit le dessus, l’envie de vivre dans la paix et de laisser derrière soi toute cette souffrance. Que le certificat de don d’or n’a été conservé que comme témoignage de l’Histoire, pour être retrouvé par les générations suivantes.
Il dormait dans un tiroir, et il s’y est rendormi.
Jusqu’au prochain réveil.