Cette semaine encore je me suis rendue à Cahors, un aller-retour en train comme souvent.
La Seine dormait encore quand je l’ai traversée entre les gares de Lyon et d’Austerlitz. J’aime regarder les lumières qui ondulent sur l’eau. Je les ai photographiées.
Puis je suis montée dans le train et me suis confortablement installée en perspective d’un somme.
« Un médecin ou toute personne appartenant au corps médical est demandé de toute urgence sur le quai au niveau de la voiture 4. Je suis le chef de bord de ce train. » L’angoisse teintait son appel, c’était du sérieux.
Je me suis penchée derrière la vitre, la voiture 4 c’était la mienne. Un jeune homme était allongé sur le sol, un autre accroupi lui tenait la tête tandis qu’un agent SNCF, téléphone en main, observait, les traits tirés, les yeux froncés, cette tête qui tressautait et le corps qui se tordait à se recroqueviller.
Une femme me frôla dans sa hâte. « Je suis infirmière » l’entendis-je annoncer à sa descente du train. Elle s’entretenait avec le petit groupe quand une autre femme surgit. « Vous êtes Docteur ? » demanda l’agent avec une pointe d’espoir dans la voix. « Docteur en pharmacie » elle répondit.
Je me dis que c’était mieux qu’un Docteur en physique nucléaire. Mais envoyai un sms à ma fille. Tu ne voudrais pas faire un détour par Austerlitz pour prendre en charge un patient, que le train démarre quoi ! Je n’attendais aucune réponse, il n’y en aurait pas. Sauf peut-être : je suis pneumologue, pas urgentiste LOL.
Le supposé-par-moi-épileptique se releva, s’assit tandis qu’un agent au brassard Sécurité arrivait en poussant un fauteuil roulant dans lequel le jeune homme se retrouva installé en moins de deux. Il parlait, il souriait, ça allait pour lui. On va partir, me dis-je.
Que nenni. J’entendis le contrôleur se confier à un passager venu aux nouvelles. « Il tient absolument à embarquer. Mais moi je n’y tiens pas du tout, je suis seul à bord, et il ne veut rien entendre. »
Coucou chéri, tu ne pourrais pas passer par Auster, besoin urgent d’une argumentation béton !
Là encore je n’attendais pas de réponse de fiston. A défaut je pouvais la rédiger à sa place : T’es relou, t’as vu l’heure ? 🙄
Les tractations semblaient se poursuivre. Un quart d’heure de retard déjà.
« Tu sais où trouver un formulaire de décharge ? » demanda une voix derrière moi. « Il ne montera pas tant qu’il n’en aura pas signé une. Je veux pas d’emmerdes moi, t’imagines s’il refait une crise ? Il dit que ça lui est jamais arrivé avant, mais va savoir… »
Coucou grand chéri, t’aurais pas un formulaire de décharge dans ton cartable ? Les assureurs et les décharges, ça va de pair, non ?
Point de réponse à attendre. Peut-être un petit émoji en retour, 😘 ou encore😝. Mais pas plus c’était sûr à n’en point douter.
« Le train va partir avec un retard de 20 minutes dû à l’assistance portée à un voyageur malade. Attention à la fermeture des portes. »
Enfin ! Je m’affalai sur mon siège après avoir envoyé un nouveau sms. Merci les chéris pour votre soutien. Bonne journée !
« Ici votre chef de bord (celui qui se sent bien seul). Le train desservira les gares de Les Aubrais, Vierzon, Châteauroux… (une liste infinie que je vais vous épargner). Le service de restauration stationnera en voiture 3 suite à un problème technique. Vous pourrez y trouver pour une pause gourmande des boissons chaudes, froides, des viennoiseries, une compotée de fruits, des chips bio de la gamme BCBG… (liste aussi interminable qu’improbable là encore sans intérêt pour le lecteur). Nous acceptons tous les titres de paiements sauf les chèques et les tickets restaurant et sans montant minimum. Nous vous souhaitons un bon voyage. »
J’imaginai que l’homme-seul se le souhaitait bon, lui aussi, le voyage ; qu’il croisait les doigts à se blanchir les articulations pour qu’aucun malaise ne surgisse à nouveau dans ce train de l’enfer dépourvu de tout membre du corps médical un tant soit peu capé.
Et décidai que le café ne venant pas à moi, c’est moi qui irais au café. En me rendant dans la voiture 3, je remarquai que la porte coulissante qui aurait dû fermer la voiture 4 était maintenue ouverte. Pas étonnant qu’il fasse frisquet dans le wagon. J’appuyai vainement sur le gros bouton en haut de la porte. « Inutile, il est cassé » m’expliqua le passager voisin de cette porte fantôme. Je lui offris une grimace doublée d’un haussement d’épaules censée l’assurer de toute ma compassion. A la loterie de la réservation, c’était lui le perdant ! No chance.
La roulante se trouvait reléguée dans un espace étroit, comme bannie avec la jeune femme qui s’occupait d’elle. « Croyez bien que je le fais pas exprès de rester coincée là, moi. Mon job c’est de pousser le chariot, c’est ça que j’aime, mais le tiroir est coincé ouvert, regardez » dit-elle en mettant un coup de pied dans le bas du meuble. « Rien à faire. » Et la roulante se reprit une torgnole. « Pour des questions de sécurité, je suis interdite de sortie. » On aurait dit une enfant punie. Questions de sécurité et de bon sens. Elle n’irait pas bien loin en manœuvrant pareil engin.
« Je n’ai pas de monnaie. Billet ou carte bleue ? « proposai-je tandis qu’elle préparait mon allongé.
« La carte ça fonctionne toujours, jamais aucun problème, je vous assure. Le terminal il est toujours ready. Même sous la neige, il marche. Y’a bien que lui ! Tout le reste part en couille ! Oh pardon ! Part en… »
« Part en lambeaux, peut-être ? »
« C’est ça », répondit-elle avec un sourire d’enfant espiègle.
En regagnant ma place, je me dis que le chaos avait souvent une origine unique provoqué par un enchainement d’évènements, que les fatalités multiples étaient rares. Comme dans un film, je vis la roulante passer sur le quai avant son chargement à bord, l’épileptique-supposé s’effondrer juste à son niveau, accrocher le tiroir sans que personne ne s’en rende compte. Juste avant d’être pris en charge. Une fois embarqués, le chariot est identifié comme défectueux alors que l’épileptique se prenant à lutter contre une grise d’angoisse post-traumatique bloque la porte pour se rafraichir. Mais le matériel est pourri et le système rend l’âme.
Ca pouvait se tenir. En tout cas, l’épileptique coincé au sol, comme la porte dans son cadre, le tiroir dans le bas du meuble et l’agente SNCF dans son cagibi, ça faisait beaucoup de trucs bloqués en si peu de temps.
De retour à ma place, je vérifiai la photo prise au lever du jour en sirotant mon café. Mais surprise ! elle était ratée, comme si la mise au point, elle aussi, s’était grippée.
Je rembobinai mon film. L’épileptique-qui-ne-le-sait-pas-encore traverse le pont, il consulte Insta en marchant, effleure par mégarde une femme élégante qui photographie la Seine – moi !- suffisamment fort pour qu’elle rate sa photo mais pas assez rudement pour qu’elle s’en rende compte, puis il court vers son train, se sent défaillir, butte contre le bas d’un chariot de service, en s’écroulant. La jeune femme qui pousse l’engin appelle à l’aide le chef de bord. Sous le coup de l’émotion, elle ne remarque pas que le choc a endommagé la coulisse du tiroir et ce n’est que l’engin chargé à bord qu’elle s’en rendra compte. Après tractations, l’épileptique-désormais-supposé monte à bord, se sent mal après coup et décide de s’octroyer un peu d’air frais. Mais la porte une fois bloquée ne veut plus rien savoir. Comme le tiroir, deux têtes de mule !
Et tout en rêvassant, je regardais la nature défiler derrière la vitre empoussiérée.
Les voyages en train et les gares m’inspirent. L’homme de la gare, un récit à découvrir ou à relire.
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