Donne pétoires
Nous cherchons à nous débarrasser de 3 fusils de chasse, de modèles inconnus, d’années tout aussi inconnues. On sait juste qu’ils étaient en service dans les années 30 au moins et qu’ils n’ont pas tiré depuis 50 ans.
Remise en main propre.
Yeux froncés, Françoise regarde sa mère.
— Non, Maman c’est pas possible. Tu n’envisages pas une seconde de publier une annonce, j’espère !
— Tu me dis qu’on doit s’en débarrasser et je ne connais plus personne qui chasse.
— Les armes, ça ne se donne plus dans un coin de garage comme tu offres des bocaux de pâté et de confiture à celui qui passe te voir. Il faut désormais déclarer les transactions à la gendarmerie et passer par un armurier, je crois. Tu ignores qui pourrait les récupérer ces armes et faire avec des trucs pas réglo réglo. On pourrait se retrouver avec la police sur le dos, t’imagines ? Il faut s’en défaire, mais différemment. Si jamais un voleur entrait chez toi, te les volait et te braquait avec, c’est toi qui serais jugée responsable.
— Crois-tu que j’aurais peur ? Enfin ! Je sais pertinemment qu’elles ne sont pas chargées.
— Mais si le voleur braquait une autre personne que toi, qui succombait d’un arrêt cardiaque de trouille, tu serais en tort.
— Avant qu’il les trouve les fusils, là où ils sont planqués…
— Mam, arrête de finasser, il faut qu’on s’en débarrasse, ça fait trente ans que ça aurait dû être fait ! T’as un permis de détention d’arme ? Non. Et moi non plus.
— Je tirais bien autrefois.
— Maman, c’est pas la question. Depuis que ton père est décédé, que plus personne ne chasse dans la famille, on n’a pas à avoir ces armes à la maison. C’est tout.
— On a qu’à les enterrer.
— Tu rigoles ?
— C’est le plus simple. Sous l’étendoir à linge. Personne n’aura l’idée d’aller planter quoi que ce soit à cet endroit. Il faut pas un grand trou, y’a qu’à mesurer le plus long fusil. Un peu profond quand même pour pas qu’ils ressortent un jour.
— Maman, tu me vois aller creuser à la tombée de la nuit ?
— Je t’aiderai. Avant on ira prendre un sac de gravier dans la réserve des services municipaux, dans la combe il n’y a jamais personne, pour refaire le parterre après avoir rebouché le trou.
— Tu veux que j’aille voler des graviers ? Je rêve. Et pour creuser, tu as quatre-vingt dix ans et moi près de soixante, tu crois une seconde qu’on peut y arriver à planter une pelle dans une terre tassée depuis des décennies et couverte de graviers ?
— Avec un peu de bonne volonté…
— Même avec beaucoup de bonne volonté, j’en doute !
— Alors y’a qu’à les jeter dans la rivière.
— Mais on va nous voir ! Et si quelqu’un appelle la police on aura l’air fin.
— On peut y aller la nuit. On s’habillera en noir. Tu demanderas à Hadrien de nous prêter des sweats à capuche.
— Maman ! Je refuse catégoriquement que mon fils ait quoi que ce soit à voir avec cette affaire et je n’ai aucune envie de jouer les Bonnie and Clyde avec toi. Et puis bravo, l’écologie c’est pas ton truc, on va aller polluer la rivière ! T’es irresponsable !
— Et si on fabriquait une sculpture avec ? Un truc à la César.
— Pour la placer où, dans le jardin ? Sous l’étendoir à linge, en mémoire du trou qu’on n’aura pas creusé ? Ou mieux, sous le cerisier, pour faire fuir les merles ?
— Tu vois que c’est une bonne idée !
— Maman ! Tu délires.
— Alors qu’est-ce que tu proposes ?
— J’ai déjà appelé l’armurier, on va passer chez lui pour qu’il expertise les armes et si, comme on s’y attend, elles ne valent pas un clou, on ira les déposer à la gendarmerie.
— On va aller chez les gendarmes ? Mais on n’a rien fait de mal !
— Non pas encore ! Mais c’est pas grâce à toi.
Françoise s’est levée. Sa mère perçoit à une hésitation quelle voudrait ajouter quelque chose à son attention mais s’en garde. Certainement un cri de colère ou d’exaspération.
— J’adore te taquiner ! lui dit-elle avec un doux sourire. Tu pars au quart de tour.
— Tu n’as jamais imaginé toutes ces idioties ?
Le ton reste dur.
— Je voulais juste te faire marcher, assure la mère.
Françoise sourit, rassurée.
— Idiote, tu m’as bien eue ! Mais je préfère. On ira chez l’armurier demain, dit-elle en s’éloignant.
— Pas la peine, intervient la mère. Les fusils, je m’en suis déjà débarrassée. Ce matin, quand tu es allée chercher mes médicaments à la pharmacie, je les ai jetés dans la fosse septique des voisins. Elle était ouverte, j’en ai profité.
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*Image empruntée au site Chassons.com