Archives mensuelles : mai 2022

Gare déserte

La gare de Cahors un mardi de mai, quelques minutes seulement avant l’arrivée du train de 23h12 en provenance de Paris.
Une gare vide.
Hall fermé. Quais déserts.
Pas même un chat qui traîne, un papillon qui voltige.
Immobilité à perte de vue.




On pourrait imaginer un homme, ou une femme, arpentant le quai, seul.e,
attendant on ne sait quoi, on ne sait qui, peut-être rien d’autre que de fuir de sombres pensées,
une ombre planant, large, couvrante, menaçante,
un cri déchirant,
et puis plus rien que la nuit ;
un train fantôme qui passe le long du dernier quai et disparaît au loin
ou encore un train chargé à bloc qui s’arrête et se déverse soudainement, donnant à cette petite gare, un air de Châtelet-Les Halles un samedi soir,
une fête qui s’installe avec sono, bières et kebab…

On pourrait imaginer bien des choses, je pourrais m’en donner à cœur joie dans une fiction.
Peut être un jour, mais pas celui-ci. Je vous laisse la main ! N’hésitez pas à déposer votre texte, même mini, même ébauché en commentaire. Je suis impatiente !

Un peu moins déserte, matinale, la gare d’Austerlitz m’a inspiré récemment une micro-nouvelle. Pour la relire ou la découvrir, c’est par ici.

Vieux miroir

Miroir au tain fané

Miroir terni
Immense, autrefois majestueux
Le tain piqué d’innombrables tâches de vieillesse
Il en a vu passer des silhouettes
se regardant dans son eau
Celles qui doutaient, celles qui s’aimaient
D’autres qui filaient devant lui sans même le voir, sans même se voir.
Pressées ou indifférentes.
Il a vu bien des tables, des canapés, des papiers peints et des tapis,
Changé de lieu plusieurs fois
Il en a aimé certains plus que d’autres
Des gens aussi.
C’est la vie.
Aujourd’hui il est fatigué.
Son tain s’obscurcit toujours plus
Il ne réfléchit plus guère,
n’a plus à tête à ça.
Un antiquaire pourrait le rajeunir
Lui offrir une seconde vie
À quoi bon ? la première a été riche
Il attend son heure
Inutile, serein, ridé.
On le laisse tranquille,  jusqu’à ce que quelqu’un décide qu’il n’est plus bon à rien et le mette au rebut.
Ça viendra un jour.
En attendant Il continue à observer la vie, les gens
Immuable et muet, ignorant son âge.
Il sait juste qu’il est bien vieux, las
Mais que la vie est intéressante à regarder.
Alors de son œil cataracté, il veille la vie qui passe.

Vieux miroir

En entrant chez mon fils, ce miroir aussi défraîchi qu’imposant m’a tout de suite frappé. Parce qu’il renvoie une image troublée, parce qu’il parait si vieux que bien des vies ont dû passer devant ses yeux, il m’a donné envie d’écrire ces quelques mots.

l'homme et le chien

Max et Johnny

Mon chien, c’est ma vie ! Il s’appelle Johnny. Plutôt comme Depp qu’Halliday.

C’est moi qui l’ai choisi ce nom, parce qu’il a le dessous des yeux noirci comme Jack Sparrow. C’est ses yeux que j’ai vus en premier, des yeux qui disaient « je vais t’en faire voir de toutes les couleurs, mais on deviendra inséparables ! » Il n’arrêtait pas de bouger la queue, de renifler, de secouer la tête, de marcher… Toujours en mouvement, comme un rockeur ! Alors Johnny, Halliday ou Depp, ça lui va bien, même si je préfère l’allusion à Depp, pour ses yeux, je me répète.

Et c’est pour ça que je l’ai adopté, pour qu’il mette du rythme dans ma vie.

La rencontre

Au petit matin, un jour de janvier, je l’ai aperçu dans ma rue. Jeune encore mais déjà les yeux charbonneux et animé d’une agitation permanente. Je lui ai demandé ce qu’il fichait là, il m’a ignoré.

Quelques jours plus tard, j’ai à nouveau croisé son regard. Toujours fier, un brin rebelle. Mais il m’a semblé plus maigre. Ça lui allait bien d’ailleurs. Son côté rock sans doute.

Et puis un troisième jour. Encore plus maigre, et blessé à la patte. Et là, ça ne lui allait plus du tout.

Je me suis approché et il m’a laissé lui flatter l’encolure. Un geste que je n’aurais jamais tenté si je n’avais senti dans son attitude comme une invitation à le secourir. Tout en le caressant, j’ai examiné sa blessure qui ne semblait pas bien profonde.

À son léger halètement, je percevais son trouble. Je n’ai pas insisté, me contentant de lui parler. Ça va aller, le chien, si tu veux bien je vais te soigner. Il a tourné le museau vers moi comme s’il me donnait son accord.

Alors je l’ai imploré de m’attendre, le temps de foncer chez moi. J’ai ouvert le frigo à la va-vite, il était quasiment vide comme à son habitude. Le placard à victuailles aussi, mais par chance, j’avais gardé intacte la boîte de pâté truffé offerte par le centre social de la mairie au moment des fêtes de fin d’année. Du pâté, un bocal de coq au vin, des pâtes multicolores enroulées sur elles-mêmes, une boîte de haricots verts en fagots, une demi-bouteille de mousseux, un ballotin de truffes au chocolat, tout ça dans un petit panier que j’ai conservé pour mettre les pommes. Celles que je récupère à la fin du marché, à peine amochées.

J’ai entamé les pâtes dès le lendemain de Noël pour continuer sur la lancée de la veille où j’avais profité du repas festif organisé par la Croix-Rouge. Pour me sentir heureux. Parce qu’avec un peu de beurre et de fromage râpé gonflé à l’amidon, manger des pâtes escargots de toutes les couleurs, c’est comme manger des macaronis premier prix, le goût est le même, mais admirer son assiette, contempler chaque fourchette garnie, c’est se sentir privilégié. Riche, presque. Même si ça ne dure que le temps d’un repas, c’est magique.

J’ai attrapé la boîte de pâté, une fourchette et deux bols. J’en ai rempli un d’eau fraîche et j’ai refoncé dans l’autre sens aussi vite que je pouvais sans renverser le liquide. Le chien se trouvait toujours dans la rue, pas tout à fait là où je l’avais laissé mais pas très loin. Je l’ai appelé. Hé le chien, si tu viens, je te donne du pâté, du pâté truffé en plus. Mais si tu ne veux pas venir, dis-le tout de suite que je ne gaspille pas mon cadeau de Noël.

Il a tourné les yeux vers moi – Ah ces yeux ! Je sais maintenant pourquoi Depp se maquille, pour faire fondre les gonzesses. Et les autres aussi, comme moi, qui ne sont pas des gonzesses mais pareils qu’elles, souvent les larmes au bord des yeux. On s’est regardé et il est arrivé. Lentement cette fois, avec une crainte qui ralentissait ses mouvements. Il n’avait plus rien de rock and roll mon pirate des caraïbes.

J’ai déposé le bol d’eau sur le trottoir. C’est pour toi !  Mais il l’a ignoré. J’ai ouvert la boîte de pâté, déposé une bouchée dans le second bol et le lui ai tendu. Ça aussi c’est pour toi ! Il a tordu le cou, regardé autour de lui, j’ai posé le bol au sol. Il a observé à nouveau les lieux, à droite, à gauche, et s’est avancé pour plonger le museau dans la pitance. Je l’ai trouvé plutôt malin.

Le pâté lui a plu, les microscopiques morceaux de truffe je ne sais pas, ils ont été engloutis avec le reste, en une seconde chrono. J’ai saisi d’un coup de fourchette tout ce qui restait dans la boîte et l’ai déposé dans le bol, d’un bloc. Le chien s’était à peine reculé. Déjà il avait confiance.

C’est là, en le regardant dévorer, que je lui ai donné, pour de bon, le nom de Johnny, celui qui m’était venu à l’esprit en croisant son regard, et qui là prenait tout son sens. En mastiquant, il bougeait de tout son être, c’était comme s’il dansait en se déhanchant. J’ai eu le pressentiment qu’on n’allait plus se quitter et qu’il allait changer ma vie, et je ne me suis pas trompé.

J’ai regardé Johnny se lécher les babines. Un peu comme moi quand je termine une Danette au chocolat, en léchant les bords à l’intérieur du pot après avoir raclé le fond avec l’index pour ne pas en laisser une trace. C’était bon mais… vous pourriez pas m’en mettre un petit peu plus ? comme vantait la pub à la télé autrefois.

Va falloir attendre mon Johnny ! je lui ai dit. C’est ce que nous avons fait, après que j’ai posé les bols et la boîte vides ainsi que la fourchette sur un rebord de fenêtre, en flânant tous les deux le temps que la vie s’installe dans la ville. La déambulation, j’en ai l’habitude. Je m’y adonne tous les jours levants, souvent l’après-midi et systématiquement le soir. Il faut bien que je m’occupe et sorte de mon vingt-mètres-carrés tout au plus, je ne l’ai jamais mesuré.

Déambuler, j’ai toujours trouvé le terme approprié à mes errements. Le préfixe dé- (ou dés-) signale d’emblée un problème. Dérangé, déviant, déstabilisé, désacclimaté, désespéré, désaccordé, désaccouplé, désadapté, désaffecté, désagrégé, désaimé, décimé, désynchronisé, déséquilibré… je déambule quotidiennement parce que je suis un peu tout ça.

Ensemble dans la rue

La première personne que nous avons croisée, le chien et moi lors de notre première déambulation commune, c’est Pierrot, qui travaille à la Poste. Je ne sais pas trop ce qu’il y fait mais c’est à six heures vingt tapantes qu’il sort de chez lui. Il doit embaucher à six heures trente. Comme tous les jours, il m’a lancé un Salut, Max ! Bonne journée ! accompagné d’un sourire et d’un signe de la main. Parfois il prend le temps d’échanger quelques mots supplémentaires. Pas ce matin.

Et puis, a déboulé le jeune du cinquième. Celui qui descend les escaliers deux par deux, déplie sa trottinette juste devant la porte, grimpe dessus et s’éloigne en moins de temps qu’il ne faut pour prononcer le moindre mot, pas même un bonjour. Un jeune quoi, ni ponctuel ni poli, mais toujours pressé. Moi aussi j’ai été jeune.

À six heures quarante, c’est Les Chéris qui sont passés. Je les appelle ainsi parce qu’ils roucoulent des chéri par-ci, des chérie par-là à ne plus pouvoir les compter. Des amoureux, toujours main dans la main. Peut-être travaillent-ils ensemble, peut-être même se sont-ils rencontrés sur leur lieu de travail, je n’en sais rien, tout comme j’ignore leur lieu de résidence, à quelques dizaines de mètres de chez moi ou bien des rues plus loin. Je sais juste que tous les matins, sauf le week-end, ils empruntent ma rue, collés l’un à l’autre, elle à droite, lui à gauche, à cette heure matinale, toujours la même.

Vers sept heures, la rue s’agite pour de bon. À huit heures, elle grouille. À huit heures trente, le Franprix ouvre.

À huit heures vingt-neuf, je me suis posté devant. Deux clients attendaient déjà. Je les sentais fébriles, impatients d’effectuer leur achat et de s’en aller. Certainement étaient-ils attendus au travail. En temps normal, j’aurais suivi l’un d’eux dans les allées, pour découvrir ce qui justifiait à ses yeux son attente devant le magasin par un matin d’hiver. Mais le jour n’était pas normal, un chien efflanqué et blessé m’attendait.

Je l’avais laissé dans la rue en lui ordonnant de m’attendre. J’aurais aimé qu’il me suive mais il en avait décidé autrement. Tout juste m’avait-il regardé m’éloigner et disparaitre au coin de la rue. Je l’avais observé, caché derrière la façade de l’angle, craignant qu’il profite de mon absence pour s’enfuir. Mais il continuait à errer tranquillement, comme s’il avait compris mon injonction. Alors je  m’étais éloigné un peu plus rassuré.

La pâtée

Dès le déverrouillage de la porte de verre, je me glissai dans le magasin et optai sans trop réfléchir pour de la pâtée pour chien au bœuf, sans truffe mais avec des morceaux. Je ne dis pas que j’en salivais d’avance, je préférais le coq au vin gélatineux en bocal, mais pour un chien affamé, elle me semblait appropriée. Et pas trop chère.

À la caisse, l’un des hommes qui trépignaient devant la supérette me força à piaffer à mon tour. Pièce par pièce, il comptait la monnaie cherchant l’appoint. Quatre-vingts. Quatre-vingt-dix. Un euro. Deux canettes de bière, voilà l’urgence du matin pour cet homme. La mienne, c’était un chien avec des coquards sous les yeux.

Un euro quinze. Un euro vingt-cinq. Sous un masque stoïque, je sentais monter l’exaspération de la caissière. Et la mienne à l’unisson. Mon chien allait me lâcher.

Un euro quarante. Un euro soixante-cinq. Plus que dix centimes ! clama la caissière. Je repris confiance. L’homme eut à peine le temps de saisir son ticket de caisse, j’avais pris sa place et remettais l’appoint dans la main de la caissière. Parfait, me dit-elle après y avoir jeté un coup d’œil. Je la sentis reconnaissante. Je m’extrayais du magasin avec une ardeur qui laissa sur place mon tortionnaire, vérifiant son ticket de caisse. Il ne devait pas souvent remplir de caddie.

Je fis le tour du pâté de maison (encore du pâté !) au pas de course, le cœur battant non pas du fait de ma performance sportive mais à la crainte du départ de Johnny. L’accident cardiaque me fut évité, le chien guettait juste après le premier virage. Attendait-il son repas ou son nouveau maître ? Je m’épargnais le risque d’une déception, viens, lui dis-je, regarde ce que je t’ai acheté, en lui montrant la pâtée.

Compagnons

Johnny m’emboîta le pas. Je pris au passage tout le petit bazar que j’avais laissé sur le rebord de la fenêtre et grimpais chez moi, le chien sur mes talons.

Je l’ai nourri. Je l’ai soigné. Depuis nous cohabitons.

Depuis, je ne déambule plus, je sors mon chien.

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J’espère que ce récit vous a plu. Pour découvrir la suite des aventures de Max et Johnny, abonnez-vous à ma newsletter sans attendre et vous la recevrez dans votre boîte mail dès sa publication. A bientôt !

Image Pixabay

violentomètre

Le violentomètre

Retrouvé en rangeant quelques affaires sur mon bureau, ce violentomètre. Rien que le nom, ça fait peur ! Quand je l’avais découvert entre tartines et jus d’orange, la tête à peine sortie de l’oreiller, j’en avais frémi. Laissez-moi me réveiller en paix, sans me parler de toutes ces horreurs !

Mais la curiosité avait envoyé au tapis (mauvais jeu de mot sur le sujet !) ma mauvaise humeur matinale et, tout en croquant mes tartines, j’avais lu barre par barre les critères de ce mesureur de malheurs.

Rabaisse systématiquement mes opinions, se moque de moi sans arrêt, est jaloux de moi, menace de se suicider à cause de moi… des confidences parfois entendues dans la bouche de proches. Ou encore c’est moi qui me disais en fin d’un dîner houleux, mais qu’est-ce qu’il avait à dénigrer ainsi tous ses propos ?

Ni coup, ni sang, ni arme, juste des mots. Des mots qui blessent comme des poignards. La violence c’est aussi cela, une violence ordinaire et insidieuse, il faut en être conscient.

Les tartines avaient du mal à passer, l’écœurement les refoulait. Toutes ces femmes violentées, des hommes aussi certainement, qui peut-être même refusaient de l’admettre. Se montrer plus vigilante avec ses proches, ne pas hésiter à alerter, voilà ce que me rappelait ce sachet à pain un matin comme les autres.

(Merci à ma commune pour cette initiative en fin d’année dernière.)

Porte ouverte

Une porte sans mur à l’entrée d’un sentier, ouverte.
Observer les promeneurs
Ceux qui la traversent indifférents
Ceux qui s’étonnent
Ceux qui la contournent
Se demander qui l’a posée là
Après âpre réflexion ou par facétie
Ce qu’il a voulu nous dire
Peut-être simplement nous montrer le chemin
Peut être nous amener à réfléchir
Peut être nous amuser
Il m’interroge
Je l’ai traversé cette porte
En fermant les yeux
En pensant à Stargate
Mais il ne s’est rien passé
Les arbres, les fleurs, l’herbe, les mêmes
Je me trouvais toujours dans le Parc Floral de Paris
Il ne me restait qu’à poursuivre mon chemin.
C’est peut être l’un des messages de cette structure : ne rien attendre d’exceptionnel de la vie pour avancer, juste poursuivre son chemin.
C’est ce qu’elle m’a dit.

porte_ouverte

Et pour vous qu’évoque cette porte ? Je suis curieuse de le découvrir !

(photo prise au Parc Floral de Paris le 1er janvier 22)