Il y a un an, à peine remise de l’intervention chirurgicale qui me débarrassait d’une tumeur, je me préparais à endurer six mois de chimiothérapie. Je me préparais façon de dire, on connait si peu d’une épreuve tant qu’on n’y a pas goûté.
Savoir sans savoir
Je ressentais de la part de mes amies étant passées par une épreuve similaire une délicatesse fleurtant avec de la gêne à vouloir m’en informer sans me miner le moral. Je m’en suis contentée, préférant ignorer ce qui m’attendait réellement, me convainquant que chacun avait son ressenti, et que le mien ne pouvait que se révéler moins désagréable.
J’ignorais combien les six premières séances allaient se révéler dures, j’ignorais que tous les quatorze jours j’en passerais trois à absorber du poison et sept à tenter de l’évacuer, que mes doigts, mes orteils, mon nez, ma gorge ne supporteraient plus le moindre contact avec du froid, qu’avaler seulement une gorgée d’eau à température ambiante me crisperait douloureusement la mâchoire, que la nutritionniste allait me tancer (et chercher des solutions !) pour chaque kilo envolé, moi l’éternelle abonnée aux kilos en trop.
J’ignorais que j’allais perdre tous mes cheveux (coupe radicale gratuite), que ma famille souffrirait autant mais se montrerait si forte, que mes copines égrèneraient avec moi le compte à rebours des douze séances, que, telle une amoureuse, j’attendrais fébrilement un homme un dimanche sur deux. L’aussi dévoué qu’efficace Royce, qui me libérait de la fiole de poison, un financier devenu infirmier par vocation.
J’ignorais que j’aurais l’impression de sortir de la mine quand la septième séance et les suivantes furent allégées (plus que sept jours pourris sur quatorze, ça change la vie, croyez-moi), que je rencontrerais des infirmières en oncologie aussi attentionnées (on peut tout leur demander ou presque, ça donne presque envie d’abuser !) et des patients aussi formidables , qui sourient à la vie malgré les crasses qu’elle leur fait.
J’ignorais que je mettrais six mois de plus pour retourner au travail, que je ne pourrais pas reprendre mon poste, qu’il me faudrait en quémander un autre moins contraignant, que la façon de travailler évoluerait autant en quelques mois de Covid que changer d’entreprise ne m’aurait pas fait de plus grand effet. J’ignorais qu’une journée de huit heures au bureau pouvait se révéler aussi exténuante, que mes collègues ne me reconnaitraient pas avec mes cheveux courts poivre et sel, mes nouvelles lunettes et ma silhouette amincie. Le masque sanitaire n’aide pas, il est vrai.
J’ignorais ce qui m’attendait comme j’ignore ce qui m’attend. La vie est pleine de surprises, des pires comme des meilleures, c’est ce qui lui donne du goût.
Aimer la vie
Tous les trois mois désormais, un rituel, analyses de sang, scanner, consultation et le même verdict jusque-là, état de rémission. Je pourrais être en train de me savoir condamnée à court terme mais j’ai repris le travail. J’ignore comment je réagirai si jamais un jour le traitement doit reprendre. J’ai côtoyé des patients sous traitement de chimio depuis des années, en continu ou au fil des récidives, qui acceptent leur situation avec gratitude, heureux de chaque jour gagné. Il faut sacrément aimer la vie pour accepter cette souffrance. Et dire que d’autres la gaspillent.
J’ai aussi appris l’essentiel. La valeur de l’amitié, du temps. À profiter des miens, de chaque jour, de chaque bonheur. À accepter de n’être que de passage. Un pas forcé vers un semblant de nécessaire sagesse. Pourtant, comme chacun, j’oublie souvent cet essentiel-là et me laisse entraîner vers bien des futilités. Dans le mouvement de la vie, tout simplement.
Et l’illustration dans tout ça ?
Mais que vient faire la photo du Lot dans cette chronique ? me direz-vous. Douée comme tu es avec l’informatique, tu as dû te planter d’image.
Cette fois-ci pas de bug, c’est bien celle que j’ai choisie. Je l’ai prise depuis le village de Douelle, en aval de Cahors, il y a quelques jours. Ses contours flous m’évoquent l’ignorance ; le courant de la rivière, la vie et l’ambiance apaisée, la sagesse.
Plus honnêtement, peut-être avais-je surtout envie de partager cette photo avec vous comme mon humeur du jour.
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