LE JARDIN ABANDONNÉ

Un écureuil roux grimpe le long du tronc d’un bouleau. En deux secondes il est en haut. Balance sa queue. La tête à droite, la tête à gauche. Saute sur une branche plus haute. Dissimulé par les feuilles.

Un instant plus tard, sa queue apparait dans l’arbre voisin. Le grimpeur-sauteur s’en donne à cœur dans ce parcours de santé à sa mesure. De gigantesques feuillus, des pins majestueux, des chênes, un noisetier, un noyer, des baies, des champignons, des bourgeons, des insectes à foison, ce jardin printanier offre un garde-manger pléthorique !

Une queue noire maintenant dans le grand pin ? Un deuxième écureuil profiterait-il de cette abondance ? Il semble que oui. Les deux rongeurs s’élancent sur le même chêne, bondissent de branche en branche comme un duo de voltigeurs.

Polyphonie

Tcha cha cha cha cha chak, une pie jacasse au-dessus de leurs têtes. Se pose à la cime du pin le plus haut. Cette dame aime dominer.

Un pigeon plonge vers la pelouse, qui n’en est plus vraiment une. Y plonge et y replonge son bec. Se régale des graminées. Tandis qu’un merle y festoie à quelques mètres. Un ver pend de son bec. Se débat mais c’est fini pour lui. Et cette carcasse de mulot dans l’allée ? C’est la dure loi de la nature que le plus gros croque le plus petit.

Un chat roux se prélasse sur une pierre chauffée par le soleil. Peut-être est-ce lui le chasseur de souris, mais des oiseaux, pour l’heure, il semble n’avoir cure. Priorité au farniente et la pitance de sa gamelle est tellement plus abordable. Une haie à traverser et il y fourrera sa truffe. Ce jardin est son territoire de jeu. Et c’est bien en jouant, à coups de pattes, avec les insectes volant à rase-motte qu’il assurera son réveil musculaire.

Concert dans les ramures teintées de vert vif. Une mésange charbonnière se dispute le la et le ré avec une fauvette à tête noire. Chacune son répertoire, les deux s’entremêlent en un chant polyphonique.

Animaux en cohabitation

Un gros chat calico s’avance sûr de lui vers son congénère assoupi. Veut-il en découdre ?

Impossible de le savoir. Il cesse sa progression, dresse les oreilles. S’assoit sur ses pattes arrière et observe l’intrus. Un lapin gris. Qui tranquillement broute les pâquerettes du parterre, sous le nez du chat roux qui ne bouge pas une moustache.

C’est Léonie, la lapine de la jeune voisine, qui se faufile sous le grillage, quand sa petite maitresse est à l’école, pour se goinfrer en douce. Après un petit somme, elle retournera chez elle, le ventre lourd, pour se laisser dorloter par les petites mains.

La faune et la flore s’enhardissent dans ce jardin abandonné par l’humain. Plus personne n’en arpente l’allée, ne coupe une branche morte, ne désherbe la terrasse, ne cueille quelques fleurs. La vieille propriétaire s’est envolée au-dessus des nuages, là où il fait toujours beau, dit la chanson.

La maison est en vente.

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Photos prises à Pradines dans le jardin de ma mère en avril 25.

Si cette nouvelle vous a plu, retrouvez La couverture, écrite également en mémoire de ma maman.

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Bonne lecture !

Image Pixabay

Le chemin de Traverse

Le chemin de Traverse se trouverait-il au coeur du 12e arrondissement de Paris ?

Vous connaissez ma fascination pour l’univers de Harry Potter et son auteure (à l’origine, je le rappelle, de mon inspiration pour l’écriture de Merci Gary). J’ai été amusée en découvrant cette vitrine digne d’une boutique où Harry Potter et ses amis font leurs achats, dans le fameux Chemin de Traverse. Chouette, baguettes, grimoires et flacons d’élixir, tout y est. Le patron est-il un fan de Harry Potter, comme moi ?

(Evidemment, avec le reflet dans la vitre, on n’y voit pas grand-chose ! désolée)

Double carré

 

 

 

 

 

 

A l’entrée du quai, Auguste consulte une nouvelle fois sa réservation. Se le répète : Voiture 5, place 56. 5-56. 5-56. Tire sa valise jusqu’à la voiture 5, y monte et cherche sa place. La voici, dans un carré, qu’occupent déjà deux femmes opulentes habillées de boubous, turbans bien serrés autour de la tête. Auguste vérifie scrupuleusement les numéros affichés au-dessus des sièges. Le sien est bien contre la fenêtre et… il est couvert de sacs.

C’est ma place

Auguste s’adresse à la femme assise sur la place contiguë. Madame, ma place est à côté de vous, vous pourriez…

Mettez-vous derrière, lui ordonne une autre femme noire, installée dans le carré de l’autre côté de l’allée. Y’a de la place et le train est direct.

Auguste la regarde, hésitant. Direct ? Vous allez jusqu’où ? réagit-il. Jusqu’à Paris, lâche-t-elle. Alors ça n’a rien de direct, proteste-t-il.

La femme lui sourit, dévoilant un râtelier blanc impeccable. D’accord, obtempère-t-il, mais si le train se remplit, je prendrai ma vraie place.

Il monte sa valise dans le porte-bagages et s’installe côté couloir quelques rangs derrière la femme aux multiples paquets. Il est agacé.

 Relégué en seconde ligne

Avant de sortir un roman de son sac, il observe les quatre Africaines qui occupent les deux carrés et ont déposé sur les quatre sièges vacants des montagnes d’effets. Huit sièges débordant de couleurs. Elles ne s’embêtent pas quand même. Et cette façon qu’elles ont eu de le reléguer derrière ! Il se sent pourtant mieux là où il est assis désormais qu’au milieu de ce fatras. Pourvu que personne ne réclame ce siège !

De part et d’autre de l’allée, les femmes discourent. Les syllabes trainent, les aigus et les rires s’échappent comme des nuées d’oiseaux effrayés. Les corps alanguis semblent coincés dans ces sièges étroits.

La crainte d’avoir à quitter sa place

Auguste peine à retrouver le fil de sa lecture. Déjà une gare s’annonce. Aux aguets, il surveille les nouveaux voyageurs. Mais le train repart sans qu’il ait à se déplacer.

À la gare suivante, un homme grand et maigre, portant soutane noire et col blanc, se présente devant le carré et désigne sa place, face à la femme qui s’est adressée à Auguste. Sans piper mot, cette dernière retire ses bagages et les empile sur le siège voisin qui en a un haut-le-cœur.

L’ecclésiastique sort un ordinateur qu’il installe sur la tablette devant lui tandis que les quatre femmes reprennent leurs bruyants échanges.

Un couple de minutes plus tard, Auguste voit l’homme fermer son ordinateur, rabattre la tablette et venir s’asseoir à son niveau, de l’autre côté de l’allée. Sur la sacoche posée sur le siège voisin, Auguste lit, brodé sur la poignée : Chanoine Alain. L’homme tape sur son clavier, Auguste lit.

Le chanoine hèle le contrôleur qui passe à vive allure. Explique qu’il doit travailler et n’était pas à son aise dans le carré où se situe normalement sa place. Le contrôleur jette un œil à son téléphone, lui dit de rester à sa nouvelle place et il est déjà reparti quand Auguste ouvre la bouche pour l’interroger à son tour. Moi aussi j’ai ma place dans le carré, dit-il au religieux, comme s’il fallait s’adresser à quelqu’un malgré tout. En retour, l’homme à la robe lui adresse une moue qui peut laisser entendre pas mal de choses. Ou rien du tout. Déjà il s’est remis au travail.

Le vieil homme

À chaque arrêt, Auguste jette des regards inquiets vers les deux extrémités du couloir, mais le convoi repart sans qu’il ait à abandonner sa place. Le train s’est déjà ébranlé qu’un homme âgé remonte péniblement l’allée jusqu’à mi-voiture et, s’agrippant comme il peut à un dossier, tente de soulever sa petite valise. Un jeune homme se lève et l’aide à placer son bagage en hauteur. Quand la bavarde en boubou comprend que le vieux va s’installer dans son espace, elle lui indique le siège derrière le sien. Elle est là votre place !

Pas du tout, intervient le jeune, il a la place 60, c’est bien celle-là ! Mais la plantureuse réarme son sourire, regarde le nouveau passager et lui assène : C’est libre derrière et vous serez dans le sens de la marche.

Le doyen la remercie et, en lui rendant son sourire, se faufile dans la place de derrière, à côté d’une femme à qui personne n’a rien demandé.

Contrôle des billets !

Moins d’une heure avant l’arrivée au terminus, le contrôleur entre en action. Vos billets s’il vous plait ! Le vieil homme extirpe de sa poche son ticket et tente d’expliquer à l’agent qu’il n’est pas assis à la bonne place. Pas de problème, le coupe ce dernier qui est déjà en train de scanner les téléphones tendus vers lui. Vous en avez du bazar, lance-t-il joyeusement aux femmes en boubous qui lui répondent par des sourires enjôleurs.

Pendant que le contrôleur valide le billet du chanoine, Auguste, en se déboîtant le cou, parvient à lire quelques lignes de la prose affichée sur l’écran de son voisin. Il y est question de la figure féminine dans la Bible. Dans la société contemporaine, a-t-il écrit, est-il légitime de considérer la femme… Auguste ne saura jamais la suite. Quand il repose les yeux sur l’ordinateur, après avoir fait valider son billet, l’écran en a été légèrement tourné. Suffisamment pour empêcher l’indiscrète lecture.

Terminus

Dans l’espace un grésillement résonne. Annonce de l’arrivée. Enfin.

Alors que l’homme à la robe range ses feuilles, Auguste peut lire sur son écran cette phrase mise en exergue par un caractère graissé : Dieu a tant aimé la femme, qu’Il lui a donné le pouvoir de la soumission.

Auguste sourit. N’est-ce pas eux, les hommes de ce compartiment, qui se sont fait soumettre par le quatuor féminin du double carré ?

Le train s’est immobilisé, Auguste et le religieux attendent leur tour pour quitter la voiture. Les Africaines ont choisi l’autre extrémité, moins encombrée, pour sortir. Sur le quai, les trois hommes noirs qui les y attendaient se chargent de tous leurs bagages tandis qu’elles poursuivent leurs jacasseries en gloussant comme des écolières. À travers la vitre, Auguste et l’homme en robe observent la scène.

L’homme sera soumis à Dieu et à sa femme, dit la Bible, commente Auguste avec un rictus, assez fort pour que le chanoine l’entende. Mais celui-ci fait mine de ne rien entendre, décevant le facétieux.

Au moment de poser un pied sur le quai, alors seulement, le chanoine se retourne vers son compagnon de voyage avec un demi-sourire ambigu. Si la Bible ne dit rien de la soumission de l’homme à la femme, c’est peut-être parce que l’homme se l’est imposée tout seul, vous ne croyez pas ?

La fille aux livres

Cette photo de statue tourne sur les réseaux sociaux. Certains la situent au Japon mais il semblerait qu’elle soit plus vraisemblablement installée dans un parc de la ville de Heihe, dans la province chinoise du Heilongjiang. En revanche, je n’ai pas réussi à trouver le nom de l’artiste qui l’a imaginée.

J’aime l’art qui enchante les espaces urbains et, même si je ne pense pas qu’il faille opposer papier et numérique, je ne peux qu’apprécier cette gamine espiègle.

 

L’Ami du Prince

Je vous ai déjà parlé de L’ami du Prince, ce roman de mon ancienne animatrice d’atelier d’écriture, Marianne Jaeglé. Archi-confiante dans son talent de narratrice, j’en ai offert quelques exemplaires avant de le lire moi-même, dont à une amie qui m’en a fait un retour enthousiaste.

Il était temps que je m’y plonge aussi et voilà qui est fait. J’ai passé quelques heures avec Néron et Sénèque, repoussant mon heure de coucher pour savoir jusqu’où cette relation allait les mener, serré les mâchoires devant la cruauté du premier, souffert avec le second tenaillé par ses dilemmes. Une histoire captivante.

Après Van Gogh et Léonard de Vinci, Sénèque. Et après Sénèque, quelle grande figure historique vas-tu nous faire découvrir, Marianne ?

La pelote de la vie

La vie est une pelote qui se déroule. Parfois elle file tout droit, souvent elle se dévide en oscillant. Un écart à droite, un autre à gauche comme si le vent des hasards la poussait, assaisonnant le quotidien. Les yeux piquent parfois, trop de poivre. De temps à autre, le fil s’embrouille. Le destin est un chaton joueur. Des nœuds il y en a forcément en plusieurs décennies de vie. Qui se serrent, qui lâchent, qui cassent. Et la pelote, toujours, poursuit sa course.

 

Image par W P de Pixabay

La boule à facette

J’ai envie de vous parler d’elle et pourtant je ne la connais pas. Je ne sais même rien d’elle.

Je l’ai aperçue deux ou trois fois sur le quai du métro à la station Quai de la Gare, en allant travailler de bonne heure le matin.

Facile à repérer. On ne voyait qu’elle. Aussi clinquante qu’une boule à facettes.  Des paillettes du sommet du crâne – serre-tête à froufrous lamés – jusqu’aux baskets en plastique doré. Blouson en lurex argent, jupe corolle strassée multicolore, collant argenté. Une tonne de bimbeloterie par-dessus le tout, aux oreilles, autour du cou, aux poignets, aux doigts. Fugitive rencontre, la rame déjà repartait.

Une fois, elle est montée dans le wagon. La soixantaine avancée, je dirais, des rides en pagaille, un cou plissé qui tranchaient avec ses fringues de princesse de dix ans et son gabarit fluet. Un drôle d’oiseau. Elle fredonnait, souriante, faisant cliqueter ses bracelets comme des maracas. De fins cheveux blonds retenus en arrière par une pince, assurément brillante. Des yeux bleu clair aux paupières fardées elles aussi de bleu. Bleu irisé. Des gestes larges, avenants, Montez messieurs dames y’a de la place. Gouaille aux accents parisiens. Relent de faubourg.

À peine croisées. C’est moi qui ai quitté le métro à la station suivante.

Hier, je l’ai revue. En milieu de matinée cette fois-ci, je l’ai tout de suite repérée sur le boulevard en contrebas de la station aérienne. À l’extrémité du passage clouté, elle gesticulait, allègre, pour faire circuler les voitures tel un agent de police éméché. Je l’imaginais, Passez messieurs dames, passez !

D’aucuns doivent la trouver foldingue. Douce folie qui fait valser la vie.

Que cachent sa jovialité et son besoin d’illuminer son quotidien ? Je ne peux qu’imaginer des blessures profondes, un traumatisme à enfouir sous des tonnes de paillettes, un sourire sparadrap, la volonté inébranlable d’aller bien quand tout va mal.

A moins qu’elle soit née étoile. Filante sur les boulevards parisiens. A bientôt peut-être, je ferai un vœu en la croisant.

Image : Ulrike Mai de Pixabay

La tête à l’envers

Vous connaissez mon admiration pour Thomas Pasquet, j’en ai parlé. Quand j’ai appris qu’au siège administratif de l’Agence Spatiale européenne, situé à Paris près de l’Unesco, on pouvait découvrir la vie des astronautes dans la station spatiale, j’y ai (presque) couru. C’est dans l’Astrolabe, un espace pédagogique, que ça se passe, casque de réalité virtuelle vissé sur le crâne le temps d’une expérience immersive. J’en ai encore la tête à l’envers !